Au pied de l'oubli
d’un bain chaud, d’enlever cette poussière qui lui
entrait par le nez, cette pluie collante qui rendait sa peau toute poisse !
C’était le pays du vent. Pas moyen de rester coiffée ! Ils avaient dormi dans
des chambres si minables. De plus, elle détestait le poisson. Et c’était tout
juste s’ils n’en servaient pas au déjeuner dans cette région reculée ! Dieu
qu’elle regrettait ce voyage ! se disait-elle en refermant d’un coup sec son
poudrier. À nouveau, elle regarda son mari. La pluie diminuait. Soudain, elle
s’inquiétaqu’il attrape une mauvaise grippe. Un serrement au
cœur la prit en l’imaginant malade, ou pire, à l’article de la mort. Elle se
traita de vieille folle. Les sentiments qu’elle éprouvait pour François-Xavier
étaient forts mais si complexes... Son mari l’énervait, la décevait,
l’irritait... En même temps, au plus profond d’elle-même, l’amour qu’elle
ressentait pour lui la grisait, la troublait, la dominait. C’était à n’y rien
comprendre. Bon, ils n’allaient toujours bien pas passer le reste de la journée
ici ! D’après leur carte routière, ils étaient presque rendus à
L’Anse-à-Beaufils. François-Xavier pourrait marcher jusqu’au village de Pierre.
Ah non, cela impliquerait de la laisser toute seule, isolée... à la merci du
moindre danger… Elle s’étira vers la portière du conducteur, attrapa la
manivelle, la tourna vigoureusement afin de descendre la fenêtre et cria :
— François-Xavier, j’suis tannée là, reviens !
À son appel, son mari se retourna. François-Xavier soupira. Il devait trouver
une solution. Personne ne semblait disposé à sortir par ce mauvais temps, ou
quoi ? Où étaient les touristes qui s’étaient agglutinés devant le rocher
Percé ? Déçus de deviner à peine une silhouette informe derrière un rideau de
pluie, ils avaient tous fait demi-tour ? Maudit voyage de fou ! Deux crevaisons,
sa voiture sale comme une soue à cochons, des brûlements d’estomac à force de
manger à la hâte, un mal de tête lancinant, la fatigue de conduire pendant de
longues heures… et la vision de sa femme dans les bras d’Yves. Il devait oublier
ces images. Il était convaincu que Julianna disait la vérité et qu’il n’y avait
rien eu entre son patron et elle. Rien d’irréparable en tout cas... Il lui
fallait reconquérir Julianna. Mais comment surmonter cette colère, cette
jalousie, cette rancœur qui le terrassaient ? D’un coup de pied, il envoya
valser quelques cailloux degrèves. Cela lui donna une idée. Il
retira sa veste et, s’en servant comme baluchon, la remplit de pierres.
Transportant le tout, il vint vider son chargement sous la roue qui posait
problème. Puis, ouvrant la portière du côté passager, il ordonna à sa femme de
se déplacer sur le siège du conducteur.
— Pis cette fois, tu défonces pas la pédale comme une pas de génie, t’as-tu compris ?
Julianna ne broncha pas. Immobile, elle fit la sourde oreille.
— Va prendre le volant ! s’écria François-Xavier.
Entre les dents, Julianna murmura :
— Non.
— Comment ça, non ?
— Non, c’est tout !
— Julianna, je peux pas être à deux places en même temps !
— Mais oui, voyons ! Toi, tu as assez de génie pour réussir ça...
— Julianna, va mettre en marche ce maudit moteur ! Pis avec ton petit pied, tu
vas dou-ce-ment donner un peu de gaz !
— Non !
— Ben va pousser d’abord, cria François-Xavier en sortant de force sa femme de
l’automobile.
Surprise, Julianna n’eut pas vraiment le temps de se débattre que son mari
avait déjà claqué violemment la portière derrière elle. D’un air de défi, elle
alla s’arc-bouter sur le pare-choc arrière.
« Et puis tant pis, elle l’aura voulu ! » se dit François-Xavier en allant
tourner la clé de contact.
Prenant le levier de vitesse, il le mit en position de marche. Il rectifia son
rétroviseur afin d’apercevoir Julianna.Par la fenêtre déjà
ouverte, il cria :
— Quand je dirai go, tu pousses de toutes tes forces !
Julianna serra les dents, ancra dans la boue les talons de ses belles
chaussures neuves achetées pour Pâques dernier, et se prépara à donner la
poussée la plus incroyable qu’une femme de cinquante-cinq ans puisse
offrir.
— Attention, Julianna, pousse ! dit François-Xavier en
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