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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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tout bonheur peut
     devenir malheur... À la pensée de Timmy, Pierre remarqua son absence.
    — Timmy passait pas l’après-midi chez nous ? s’informa-t-il.
    — Il surveille Dominique qui fait sa sieste. Un vrai chien de garde.
    Cher Timmy, le fils de sa voisine les avait littéralementadoptés. Jamais Pierre n’aurait cru possible de s’attacher autant à quelqu’un
     de... pas normal comme Timmy. Miss Harrington, la mère du handicapé, était
     américaine. Pierre n’avait jamais su ce qui avait pu l’amener à s’exiler si
     loin. Malgré sa curiosité, il n’avait pas osé la questionner sur son passé.
     C’est à peine s’il avait pu glaner quelques détails sur Patrick O’Connor, du
     temps qu’il habitait cette maison. À la grande surprise de Pierre, le vieil
     Irlandais pour qui il avait travaillé, à Montréal, l’avait couché sur son
     testament. Pourtant, Miss Harrington disait avoir bien connu l’ancien
     propriétaire de La Joséphine. La Joséphine... Quel héritage-surprise !
     Une maison et un bateau... Pierre alla se poster à la fenêtre et regarda la
     pluie qui tombait depuis le matin. Pensivement, il se frotta la barbe qu’il
     portait depuis son nouveau statut de pêcheur gaspésien. Mélanie ne pouvait
     comprendre sa propension à toujours craindre le pire. Il avait cru qu’en
     vieillissant, sa peur du grand malheur s’amoindrirait, mais au contraire, elle
     s’accentuait. Depuis qu’on l’avait avisé de l’arrivée de ses parents, prévue
     pour aujourd’hui, il s’inquiétait. Il imaginait leur voiture accidentée et les
     deux occupants... Non, il ne devait pas se laisser envahir par ces pensées. Déjà
     qu’il avait peine à quitter Mélanie pour aller sur la mer. Mélanie et Dominique,
     son petit gars de deux ans et demi... Être père, quelle grande responsabilité !
     Il n’était pas à la hauteur... Il doutait que ses parents démontrent beaucoup
     d’enthousiasme en découvrant sa demeure. Il faut dire que Pierre avait omis bien
     des détails dans la description de sa vie gaspésienne. Il avait souvenir de sa
     mère détestant la maison de Saint-Ambroise, la jugeant vieillotte, délabrée.
     Chez Pierre, il n’y avait ni téléphone, ni électricité, ni eau courante. Oui, il
     regrettait maintenant d’avoir un peu enjolivé le portrait de sa vie ici. Oh, il
     n’avait pas vraiment mentià ses parents, mais disons qu’il
     avait dépeint la maison de la façon qu’il la voyait si... s’il avait eu un peu
     d’argent pour la réparer, la peindre, l’agrandir, la moderniser. Au début, quand
     il avait constaté que son héritage se résumait à bien plus qu’un bateau de pêche
     et qu’il comportait aussi une maison, il était des plus optimistes, certain
     d’avoir trouvé son avenir. Il deviendrait un pêcheur prospère. Il avait
     rapidement déchanté. Le métier n’était pas des plus faciles, les hivers étaient
     rudes... Il n’arrivait pas à mettre un sou de côté. Il se demandait encore
     comment il paierait le docteur pour le second accouchement. Les poissons
     boudaient ses filets. Il ne pouvait vraiment se démarquer pour la pêche au
     homard. Il lui aurait fallu un nouveau bateau. Le sien risquait de couler
     directement au fond de la mer tant il était vétuste. Une pourritude ,
     comme les autres marins surnommaient ces petites goélettes de bois dont La
     Joséphine était une des dernières survivantes. L’avenir était aux
     bateaux de fer. Jamais il ne posséderait assez d’argent. Se moderniser ou
     crever, disaient les gens du coin. Derrière la maison, La Joséphine était
     en cale sèche le temps des réparations. Pierre retint un soupir. Il craignait
     que l’embarcation ne puisse jamais être remise à l’eau... Elle était trop
     endommagée. Il devait trouver une solution, sinon il ne savait comment il allait
     nourrir sa famille un autre hiver. Déjà que Mélanie était déçue à l’idée de
     recevoir ses beaux-parents avec rien que de la soupe et du pain ! Sa femme
     arriva derrière lui et vint l’enlacer. Dans son dos, il sentait le petit ventre
     rebondi de son épouse. Aurait-il un deuxième fils ? Était-ce la vie qu’il
     voulait offrir à sa descendance : les dangers de la mer, la pauvreté, la misère
     noire, dirait sa mère ?
    — Alors, Barberousse, encore en train de t’inquiéter ? lui demanda
     Mélanie.
    — Pas vraiment. C’est juste que la Gaspésie, quand

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