Au pied de l'oubli
il
l’aida à reprendre place sur une chaise.
— Donne-lui un verre d’eau, Mélanie, dit-il.
— Vous aviez promis...
— Buvez, ordonna Mélanie.
Miss Harrington refusa. Après une grande inspiration, elle reprit des couleurs.
Plus calme, elle murmura :
— Emmenez-le avec vous.
— Quoi ?
— Je suis malade, Mélanie, très malade. Je vais mourir bientôt. Je vous en
supplie, pour Timmy...
— Mon ami dit qu’il aime pas être dehors tout seul.
Timmy fit cette réflexion, la tête passée par l’entrebâillement
de la porte. Inquiet, le fils de Miss Harrington se dandinait d’un pied à
l’autre.
Pierre regarda sa femme, une question muette dans les yeux. Mélanie fit signe
qu’elle était d’accord.
Pierre se tourna alors vers Timmy :
— Que c’est tu dirais de faire un grand, grand voyage ?
Toute la semaine fut consacrée à préparer le déménagement. Dominique ne
comprenait rien à toute cette agitation, mais prenait plaisir à se cacher dans
les boîtes de carton et les caisses. Timmy jubilait et répétait :
— Nous partons en voyage, nous partons en grand, grand voyage !
Mélanie s’affairait à organiser leur départ. Courageuse, elle pleurait en
cachette la perte de son bébé, ne montrant aux autres qu’un regard voilé de
tristesse. Il fut convenu que Pierre et sa petite famille partageraient
l’appartement de ses parents, à Chicoutimi. Julianna s’était un peu inquiétée
d’héberger Timmy.
— Il n’est pas dangereux, tu es certain ?
— Maman !
— C’est pas après qu’il soit arrivé quelque chose qu’il faut poser la
question.
— Timmy a pas de malice pour deux sous.
— Je veux bien te croire, mais de là à l’avoir sous notre toit ! Peut-être que
sa mère savait le contenir…
— Julianna, intervint François-Xavier, Pierre le connaît depuis des
années.
— À Montréal, quand j’étais jeune fille, il y en avait un de sa race qui
habitait pas loin de notre rue.
— Bon, tu vois.
— Ses parents l’enfermaient dans la garde-robe ! J’avais tellement peur qu’il
s’échappe...
— Maman !
— Bon, bon, ça va. J’espère qu’il ne se passera jamais rien de fâcheux.
— De toute façon, on demeurera chez vous. C’est juste en attendant de trouver
une autre solution.
Le matin du départ, tous les bagages, même ceux de Timmy, étaient entassés dans
le camion de Pierre. Près de la voiture, Julianna jouait à faire semblant
d’attraper Dominique. Avec une si longue route en perspective, faire dégourdir
les jambes de son petit-fils n’était certes pas une mauvaise idée ! Pierre et
François-Xavier vérifiaient la solidité des nœuds qui maintenaient une bâche de
toile pardessus la boîte du camion.
— J’espère qu’on pognera pas trop de pluie… s’inquiéta Mélanie en observant le
chargement.
— T’en fais pas, ma belle-fille. Vos affaires sont bien protégées, la rassura
François-Xavier.
Miss Harrington arriva avec Timmy, qui tenait un sac brun à la main.
— Je lui ai préparé un lunch, expliqua-t-elle. Vous savez comment il a toujours
faim.
L’Américaine tendit à Pierre une épaisse enveloppe.
— Là-dedans, tu trouveras tous les papiers et documents importants se
rapportant à Timmy. Je t’ai fait un chèque pour couvrir les frais de
subsistance.
— Vous étiez pas obligée.
— Allons Pierre, c’est la moindre des choses. J’ai eu une longue conversation
avec Timmy. Il m’a promis d’être sage. N’est-ce pas, Timmy ?
— Nous connaissons les bonnes manières, ne pas manger la bouche
ouverte, dire merci...
— Oui, Timmy, c’est cela, l’interrompit sa mère.
Miss Harrington se tourna vers Mélanie. Les deux amies se serrèrent
chaleureusement dans leur bras.
— Je ne veux pas que Timmy me voie pleurer... souffla l’Américaine.
Pierre l’entendit.
— Viens mon Timmy, j’ai besoin de ton aide pour barricader la maison.
François-Xavier les suivit.
— Miss Harrington, je… je sais pas quoi dire… soupira Mélanie.
— It’s o.k. C’est mieux pour tout le monde. Il est temps que Timmy
laisse les jupons de sa maman. J’ai été chanceuse, je l’ai eu trente-sept ans
pour moi toute seule. Life is life. N’oublie pas de m’écrire
régulièrement.
— Toutes les semaines, Miss Harrington.
La vieille femme s’en retourna. Mélanie chassa ses larmes.
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