Au pied de l'oubli
S’accrochant un
sourire, elle se joignit au jeu de sa belle-mère et de son fils. Quand les
hommes eurent terminé de condamner les fenêtres et les portes de La
Joséphine, ils revinrent ranger les outils dans le camion.
— Et voilà, tout est paré, dit Pierre.
Impatiente de se mettre en route, Julianna demanda :
— Alors, on y va ?
François-Xavier soupira. Sa femme n’avait aucune idée à quel point Pierre
pouvait souffrir de quitter sa demeure gaspésienne. Même lui avait le cœur gros.
Il avait l’impression de dire adieu, encore une fois, à sa mère, sa Fifine… Et
toujours dans le secret. Il avait hésité à avouer toute la vérité à Pierre.
Finalement, il en avait conclu que cela n’auraitqu’ajouté au
chagrin de son fils. Il se félicitait de sa décision. Ne parvenant plus à
détacher son regard de sa maison barricadée, Pierre semblait si triste.
Julianna revint à la charge.
— Qu’est-ce qu’on attend pour s’en aller ?
— Partez en avant, on vous suit, dit Pierre. Je veux faire le tour une dernière
fois.
Sa mère ouvrit la bouche pour s’obstiner. Elle préférait qu’ils restent tous
ensemble. François-Xavier lui serra le bras.
— Monte dans l’auto, Julianna, lui ordonna-t-il.
Elle lui jeta un regard mauvais, insultée de se faire traiter si cavalièrement.
Son mari lui sourit tristement. Elle se ravisa.
— On prend Dominique avec nous, d’accord ? proposa-t-elle. Nous allons chanter
des chansons !
Mélanie accepta et laissa son petit garçon embarquer avec ses grands-parents.
Dans la poussière de la route, la voiture s’éloigna.
— Timmy, attends-nous dans le camion, dit Pierre.
Timmy n’avait pas lâché son sac à lunch. C’est presque cérémonieusement qu’il
s’installa dans le véhicule. Assis bien droit, il regardait en avant de
lui.
Resté seul, le couple s’enlaça face à sa maison.
— Je pensais pas que je trouverais ça si difficile, de dire au revoir à La
Joséphine… avoua Pierre. Toi ?
— Tu te souviens de la première fois qu’on a assisté aux plongeons des
oiseaux ?
— C’était notre voyage de noces. On avait vu des baleines...
— Nous aussi, on a plongé, Pierre. Pis j’en garde plein de belles choses dans
ma tête, dans mon cœur… Je suis prête àcommencer une nouvelle
aventure. Du moment qu’on est ensemble.
— Chez les marins, on dit que les naufragés s’accrochent aux cordes du vent…
Moi, je veux m’accrocher à toi, Mélanie…
D EUXIÈME PARTIE
– A
délard, pour la
millième fois, je suis pas ta bonne !
Découragée par la vaisselle sale qui traînait sur la table du salon, Yvette
était en colère contre son frère.
— Non mais franchement, il exagère ! se dit-elle. Et lève-toi, tu vas encore
être en retard ! cria-t-elle en direction du corridor.
Yvette attendit. Aucun bruit, aucune réponse. En soupirant, elle prit
l’assiette et le verre, et se dirigea vers la chambre qu’occupait Adélard depuis
deux semaines environ. Depuis qu’à l’automne, il avait commencé ses études
universitaires afin de devenir dentiste. Sans frapper, elle ouvrit la porte à
toute volée et s’approcha du lit. Recroquevillé, son frère dormait encore
profondément. Au risque de tout casser, Yvette déposa rageusement la vaisselle
sur le dessus de la commode. Aucune réaction. Sans ménagement, elle secoua le
paresseux.
— Allez, lève-toi ! lui dit-elle.
Adélard grommela.
— Laisse-moi tranquille…
Yvette étudia le visage blême, les traits tirés et sa colère se mua en
inquiétude. Son frère ne faisait pas semblant. Depuis son emménagement qu’elle
trouvait qu’il n’était pas très en forme. Yvette avait mis ce manque d’entrain
sur la faute d’une jeunesse fainéante. Elle connaissait si peu le dernierde la famille. Un grand écart d’âge les séparait. Elle hésita
sur l’attitude à adopter. Elle le laissait se reposer ou elle le jetait en bas
de son lit ? Elle avait besoin d’un avis. Elle regarda l’heure. Il était encore
tôt, Mathieu ne devait pas être parti pour la librairie. Elle lui
téléphona.
— Ben voyons donc, tu t’en fais pour rien, la rassura Mathieu après qu’elle lui
a fait part de son inquiétude. Le petit frère a dû passer la nuit sur la corde à
linge.
— Non, j’t’ai dit qu’il s’était couché de bonne heure ! Il va pas bien.
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