Au pied de l'oubli
ajouta-t-elle avec un demi-sourire.
Ah là, ça avait plus de sens, pensa Mélanie. Elle déposa soigneusement son
linge à vaisselle sur un crochet. Se tournant vers le salon, elle cria :
— Timmy, ferme la télévision pis va t’habiller !
— Laisse-le faire, il est tranquille au moins.
— Il peut toujours bien pas passer la journée en pyjama.
Depuis que Timmy avait découvert le fonctionnement de cette machine à images,
sa vie avait été transformée. Il ne se lassait tout simplement pas. Concentré,
assis par terre, à six pouces de l’écran, rien n’arrivait à le sortir de sa
torpeur. Pas même l’appel du repas. Quand il ne regardait pas la télévision, il
recréait ce qu’il avait regardé, imitant les personnages à merveille. Timmy leur
offrait un réel spectacle.
— « Viande à chien de viande à chien... mon or... »
Cette passion avait grandement facilité la cohabitation. Mélanie avait redouté
les difficultés d’adaptation du simple d’esprit. Passer du bord de la mer à la
vie en appartement, quitter sa mère... Les dernières nouvelles concernant la
santé de celle-ci n’étaient vraiment pas bonnes. Miss Harrington n’en avait plus
pour longtemps. C’était une question de semaines, de jours. Rassurée sur le sort
de son unique enfant, l’Américaine démontrait une belle sérénité face à sa mort
prochaine.
— Comment tu me trouves ? Cet ensemble ne me vieillit pas trop ? demanda
Julianna en se plantant devant sa belle-fille.
Bon, sa belle-mère avait besoin de son compliment du jour ! Mélanie avait
rapidement saisi qu’afin de vivre harmonieusement avec Julianna, valait mieux la
flatter dans le sens du poil.
— Vous avez l’air plus jeune que moi !
Et voilà, ce n’était pas si compliqué. Mélanie alla prendre Dominique dans ses
bras. Dans le coin de la cuisine, le petit garçon jouait sagement à empiler des
blocs de bois gravés d’une lettre de l’alphabet.
— On t’a jamais appris, ma belle-fille, que c’était pas beau de mentir ? dit
Julianna avec un sourire.
— Dominique, c’est qui la plus belle ? demanda Mélanie.
— Grand-maman ! s’exclama l’enfant, connaissant la réponse qu’on attendait de
lui.
Julianna embrassa son petit-fils sur la joue.
— Mon petit bonhomme d’amour ! Je te jure, si on t’avait pas, il faudrait
t’inventer.
— Je peux commencer le grand ménage d’avant l’hiver si vous voulez, offrit
Mélanie. Je pensais ranger les armoires.
— Non, lave les vitres. Avec le beau soleil qu’on a…
Souhaite-moi bonne chance, dit Julianna en prenant son sac à main.
Mélanie étudia sa belle-mère ; quelle personnalité ! Ce matin avait lieu le
rendez-vous pour le fameux projet de Julianna. Elle leur cassait les oreilles
depuis des semaines avec cette histoire ! Une maison pour prendre soin des
femmes en difficulté, rien de moins ! La mère de son mari ne cessait de
l’étonner. Mélanie l’avait crue superficielle, incapable de se soucier des
autres. Elle avait découvert une femme engagée, aux opinions tranchantes et qui
désirait réellement faire une différence dans le bien-être de ses consœurs.
Julianna lui avait fait lire quelques lettres de pauvres femmes tourmentées.
Mélanie avait frissonné d’horreur. En prendre connaissance avait été presque
insoutenable.
La main sur la poignée de la porte, Julianna eut un mouvement
d’hésitation.
— Je suis vraiment correcte ?
— Oui, belle-maman.
Julianna retourna devant le miroir vérifier sa coiffure et son
maquillage.
— Je suis tellement nerveuse ! dit-elle en réajustant son chapeau. Mon cher
Henry a confiance en moi. Il a organisé une rencontre avec un de ses collègues
du parti libéral. S’il fallait que je gâche tout…
— Je suis certaine que tout va bien aller, lui dit Mélanie. Qui pourrait vous
tenir tête ?
Marchant d’un pas vigoureux, Julianna essayait de faire retomber sa colère. Son
rendez-vous ne s’était pas du toutdéroulé comme elle l’avait
espéré, loin de là ! Au début, affable, le candidat libéral l’avait reçue
chaleureusement.
— Madame Rousseau, Henry m’a dit tellement de bien de vous ! Assoyez-vous,
assoyez-vous.
Tout de suite, Julianna avait discerné l’hypocrisie de l’homme.
— Votre esprit charitable est tout à votre honneur. C’est charmant, une femme
qui
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