Au pied de l'oubli
costumes, toujours ?
— Quelqu’un t’a marché sur les pieds toi !
— À peine...
— Le comité se réunit justement ce soir. Joins-toi à nous autres.
— Qu’est-ce que tu veux que j’aille faire là ?
— On a besoin d’une femme comme toi, énergique, vive... qui brasserait la cage
à ces messieurs.
— Je pense vraiment pas...
— Ça sera pas un carnaval comme les autres ! Ça va être un carnaval souvenir.
On veut promouvoir l’histoire de notre région, mettre nos ancêtres à l’honneur.
Dis oui, à soir, sept heures, au sous-sol de l’église...
— Yves, à chaque fois que le destin t’a mis sur ce trottoir face à moi, tu m’as
embarquée dans un plan de fou.
— Ton sourire me dit que ça te tente...
— Va retrouver Marie, elle t’attend pour aller dîner.
— Dis le bonjour à… à ton mari.
— Hum… je lui ferai peut-être le message... si j’y pense.
Ce soir-là, Yvette rentra du travail encore plus éreintée que d’habitude. Les
femmes s’étaient toutes donné le mot pour venir en même temps compléter leur
garde-robe d’automne, il faut croire. Elle pensa à sa mère qui cousait presque
tous ses vêtements elle-même. Elle retira ses chaussures et se frotta longuement
le bout des pieds, maltraités par la position debout qu’elle était obligée
d’adopter toute la journée. Elle remarqua le sac d’école en cuir brun d’Adélard.
Il n’avait pas bougé depuis le matin. Yvette fronça les sourcils. Tendant
l’oreille, elle se dirigea vers la cuisine. La pièce était vide et là aussi,
Yvette vit que personne n’y avait pénétré après elle. Ce n’était pas normal. En
appelant son frère, elle se rendit à la chambre de celui-ci. Elle le trouva
encore au lit.
— J’me sens vraiment pas bien, Yvette… murmura le jeune homme lorsque sa sœur
s’approcha de lui.
Immédiatement, elle réalisa la gravité de la situation.
Yvette courut au téléphone. En tremblant, elle demanda à la standardiste de la
mettre en contact avec un docteur enservice. Le médecin promit
de venir rapidement. Ensuite, elle tenta de joindre ses parents.
— Pis ? demanda Mélanie à Julianna.
Attablées devant leur repas, les deux femmes soupaient en silence. Ce qui
n’était vraiment pas dans les habitudes de Julianna. Timmy et Dominique étaient
au salon à regarder la télévision. Tout l’après-midi, Julianna avait été
songeuse. Mélanie avait été sidérée d’apprendre l’échec de la rencontre. Quand
sa belle-mère lui avait rapporté les propos odieux du politicien, Mélanie
s’était retenue pour ne pas aller, à son tour, le traiter de gros
imbécile.
— Pourtant, j’y croyais, à mon grand projet… s’était désolée Julianna.
— Il faut pas lâcher, belle-maman ! Un jour, vous l’ouvrirez, votre maison pour
femmes.
— Je ne pense pas, Mélanie… Si j’étais plus jeune, j’te dirais que oui. Mais
là… Ça me prendrait une énergie que je n’ai plus. Toujours se battre…
Elle avait changé de sujet, lui rapportant sa rencontre avec son ancien patron
du journal. Il l’avait invitée à faire partie du comité organisateur du carnaval
et elle devait réfléchir à savoir si elle acceptait ou non. Elle ne voulait pas
être dérangée, ni par Timmy ni par Dominique. Installée dans la cour arrière, à
côté du jardin, une balançoire de bois avait accueilli une Julianna aux sourcils
froncés. Tout en lavant les vitres des fenêtres, Mélanie avait jeté de fréquents
coups d’œil à sa belle-mère. Celle-ci était rentrée pour venir chercher un châle
de laine et était repartie aussi vite se balancer de nouveau. Vraiment, cette
défaite l’avait abattue.
— Pis, vous êtes-vous décidée, là ? insista Mélanie. Y
allez-vous, à votre affaire de carnaval ?
Julianna daigna enfin répondre. D’un air important, elle dit :
— C’est le comité organisateur du carnaval, rectifia-t-elle. Ça coûte rien d’y
faire un tour. Je finis de souper pis je me rends à l’église, ajouta-t-elle en
enfournant une dernière bouchée de pâté chinois.
— J’ai préparé un gâteau aux pommes. Vous en voulez-tu un morceau ?
— Non merci. Fais-moi un café, par exemple.
Mélanie avait vite pris les tâches ménagères et la cuisine à son compte. Ce
n’était pas Julianna qui s’en plaignait. Le téléphone sonna. C’était
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