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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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profiter de ce moment
     rien qu’à eux et d’aller déjeuner au petit restaurant du bas de la côte.
     Toujoursrenfrogné, Pierre accepta de s’offrir cette dépense. Ce
     n’est qu’une fois qu’ils furent attablés devant leurs œufs et leurs rôties que
     Mélanie se décida à attaquer le vif du sujet.
    — On se voit une journée par semaine, il me semble que ce serait plaisant que
     tu la passes pas avec une face de carême.
    À voix basse, ne voulant pas que les autres clients entendent ses propos,
     Pierre maugréa :
    — Je peux pas croire que papa ait encore refusé de venir à la messe !
    — Depuis qu’on habite avec tes parents, c’était facile de se rendre compte que
     c’était pas l’homme le plus pratiquant.
    — Mélanie, t’as pas l’air de trouver ça grave !
    — Ce que je trouve grave, c’est que tu parles à ton père comme tu l’as fait ce
     matin.
    Honteux, Pierre baissa les yeux. Il détestait que Mélanie ait raison.
    — Qu’est-ce qu’il y a vraiment, Pierre ? demanda Mélanie.
    Comment avouer qu’il se sentait bouillir en dedans de lui ? Que la mer lui
     manquait ? Qu’il était éreinté à se démener comme un fou à bâtir une magnifique
     demeure que quelqu’un d’autre allait habiter ? Il haïssait cogner du marteau,
     scier une planche, raboter, poncer, huiler… Éloigné de Mélanie et de leur fils,
     il s’ennuyait. La semaine n’en finissait plus de s’étirer dans le chaos du
     chantier de construction. Jean-Baptiste, qui avait promis qu’Henry passerait
     Noël dans sa nouvelle maison, poussait ses ouvriers à travailler plus
     rapidement, plus fort. Il fallait prendre de vitesse les jours de neige qui
     s’annonçaient. Le peu d’expérience de son frère et de son père se faisait
     sentir. Les matériaux manquaient, les dates de livraison se chevauchaient. L’un
     ne pouvait fermer les murs avant que la plomberie nesoit
     terminée. Ce qui retardait l’autre à poser la céramique de la salle de bain.
     Dans l’ancien chalet, qui serait détruit, on avait installé le centre des
     opérations. C’est là que Jean-Baptiste et son père tenaient le cahier de route,
     passaient des coups de fil, classaient les factures et tentaient de respecter
     l’échéancier des travaux. Il n’était pas rare d’entendre les deux hommes
     argumenter.
    « Qui a fait une erreur dans la mesure des fenêtres ? » « C’est le fournisseur.
     Il faudra faire avec et modifier la devanture. » « Pas question de changer les
     plans. » « Cette cloison va être déplacée. » « Il n’y aura plus assez d’espace
     pour la cage d’escalier. »
    Pierre, habitué à sa solitude de marin, n’en pouvait plus de ce climat de
     travail. Pendant le trajet en camion qui les emmenait au chalet ou les en
     ramenait, cela n’était guère mieux. Sur la banquette avant, coincé entre son
     père et son frère qui conduisait, Pierre fermait les yeux et tentait de somnoler
     malgré les discussions animées entre les deux autres. En plus, de retour à
     Chicoutimi, il n’y avait pas moyen de se retrouver seul ou presque avec sa
     femme. Sa mère se mêlait de tout.
    « Joue pas trop raide avec Dominique, tu vas l’énerver. Timmy a assez mangé. Y
     a des poubelles à sortir. Une porte d’armoire à réparer. Pas de coudes sur la
     table, je t’ai élevé mieux que ça. »
    Et tous ces costumes de carnaval ! Le tissu traînait partout. Le logement était
     transformé en atelier de couture ! Et la façon que ses parents avaient de se
     parler ! Comme s’ils étaient en guerre perpétuelle.
    « François-Xavier, lâche tes mots mystères, je veux te parler. » « Julianna,
     j’ai rien que le dimanche pour me reposer. » « Va à la messe avec Pierre, je
     vais garder le petit, il a ungros rhume. » « Oui, papa, venez
     avec moi pis Mélanie, ça fait plusieurs semaines que vous l’avez ratée. »
     « J’avais trop mal au dos. » « Je trouve, papa, que vous avez un mal de dos qui
     vous arrange pas mal. » « Que c’est tu veux dire par là ? » « Que c’est drôle,
     vous avez jamais mal les autres jours ! »
    La serveuse vint leur offrir de réchauffer leur café. Avec un sourire, Mélanie
     la remercia. Comme son mari ne semblait pas disposé à lui répondre, elle changea
     de sujet.
    — Pierre, je voudrais que tu me montres à conduire… quand t’auras un peu plus
     de temps.
    — Pourquoi pas !

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