Au pied de l'oubli
honteux, des péchés de la chair… Bourreaux, victimes,
témoins, tout ce beau monde à la messe priait, communiait, se confessait, avant
de s’en retourner en dessous des couvertures de leur vie, anéantir, subir,
trahir… dans le silence béni.
N’ayant d’yeux que pour son petit bonheur, elle avait été aveugle aux malheurs
des autres. Sa belle-mère avait raison. Une maison Marie-Ange pouvait faire la
différence pour la survie d’une femme, d’un enfant. Quel dommage que le projet
n’ait pas marché ! Mélanie se secoua. C’était assez de se morfondre pour quelque
chose auquel elle ne pouvait rien. Bon, demain, qu’allait-elle entreprendre ?
S’il faisait encore assez beau pour étendre, elle commencerait par laver et
ranger tout le linge d’été, sinon ce serait une journée à cuisiner. Il fallait
songer aux réserves de l’hiver et remplir le garde-manger.
Julianna grimaça. Elle souffrait d’un terrible mal de tête. Toute une soirée
dans un sous-sol d’église qui sentait le moisi, un nuage de boucane de
cigarettes au-dessus de la table de réunion, et le fait de ruminer le refus de
son projet, tout pour s’offrir une belle migraine, quoi ! Elle n’avait guère
participé aux conversations et n’avait démontré presque aucun enthousiasme. Yves
lui avait fréquemment jeté des coupsd’œil inquiets. Consciente
de le décevoir, elle s’était efforcée de faire meilleure figure. Comme cet
événement se voulait en être un de souvenance, les organisateurs désiraient
honorer leurs ancêtres, ces valeureux pionniers. En fin de compte, Julianna
s’était engagée à coudre quelques robes d’époque. Soulagée d’ être enfin chez
elle, elle se déchaussa et, sans allumer la lampe, se rendit dans le salon avec
l’idée de s’étendre dans son fauteuil, de fermer les yeux et d’espérer que
l’étau de ses tempes se relâche. Elle manqua mourir d’effroi quand la silhouette
immobile se détacha de la pénombre. Dans la chaise berçante, sa belle-fille
s’était endormie. Le léger cri qu’elle poussa réveilla Mélanie.
— Je vous ai pas entendue arriver, dit celle-ci en bâillant.
— J’ai pas fait grand train. J’ai tellement mal à tête que j’ai marché sur le
bout des orteils.
— Je vas aller vous chercher de l’onguent pour vous frotter.
— Mouille-moi une débarbouillette d’eau froide aussi.
De retour avec le liniment et la compresse, Mélanie interrogea sa
belle-mère.
— Pis, le carnaval ?
— Prépare-toi à ce que la machine à coudre roule jusqu’au mois de
février !
— Adélard, t’as pas le choix ! C’est pour ton bien !
Avec une moue de dégoût, Adélard détourna la tête sur son oreiller. À son
chevet, tenant en équilibre précaire la cuillère de médicaments, Yvette
soupira :
— Tu vas pas faire le bébé en plus ! Le docteur a dit d’en prendre une à chaque
repas pis avant la nuit.
— C’est méchant comme le diable !
— Allez, je m’endors, j’me lève de bonne heure demain matin… ah, voilà…
dit-elle, satisfaite, tandis que son frère, d’un coup vite, avalait le
tonique.
— Oh, Adélard, si tu te voyais la face ! ajouta-t-elle devant le rictus
clownesque du malade.
— Goûtes-y donc voir si t’es brave.
— C’est pas moi qui a besoin de fer. Demain, je vais aller à la boucherie du
coin t’acheter du foie.
— Je pense que j’aime encore mieux vider la bouteille de médicaments !
— Tout devrait rentrer dans l’ordre.
— Je comprenais pas pourquoi j’étais si fatigué, aussi… J’ai hâte que la forme
revienne.
— Quelques semaines de patience, le frérot, juste quelques semaines…
— Pierre, attends-moi ! cria Mélanie.
Son mari était en colère et avait accéléré le pas, la laissant derrière lui sur
le trottoir. En ce dimanche matin d’une journée d’octobre, le couple se rendait
à la messe. Les mains dans les poches de son manteau long, Pierre se retourna et
s’immobilisa. Quand elle l’eut rejoint, Mélanie lui prit le bras. De l’autre,
elle retint son chapeau. Les feuilles mortes tourbillonnaient à leurs pieds et
se poussaient de côté, cédant le passage à ces marcheurs déterminés. Le couple
s’engouffra dans la cathédrale, pas fâché de se mettre à l’abri des bourrasques.
Après l’office religieux, Mélanie proposa à son mari de
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