Au pied de l'oubli
groupe.
— Après le feu, ce fils-là, je l’ai renié… C’était lui ou moi. Je l’ai
sacrifié. J’m’étais juré de pas ressembler à mon père pis que je deviendrais
jamais comme lui. Je voulais donc être un bon père pour mes enfants. Je pense
que j’ai été pire. Quand on a quelque chose de tellement pris dans le travers de
la gorge, faut ben boire pour le faire descendre !
Il joignit le geste à la parole et vida son verre.
— Le bon Dieu m’a jamais abandonné. Astheure, je le sais. Il a placé à mes
côtés un ami… un vrai, rien que pour moé. Pour passer à travers les coups durs…
Quand cet ami a osé me dire mes quatre vérités, je l’ai renié aussi... J’me suis
mis tout le monde à dos.
Georges releva la tête.
— Mais mon ami a été éprouvé l’automne dernier, pis j’ai réussi à être à ses
côtés. Ouais, j’ai été là pour lui, répéta-t-il avec fierté.
Des murmures d’approbation accueillirent ces propos.
— Pis je suis monté voir mon plus vieux. Il m’a montré où il travaillait, une
belle job. Je voulais y demander pardon... Les mots ont pas voulu sortir... Je
pense qu’il les a entendus pareil.
Les membres applaudirent à tout rompre.
Hélène et Julianna acceptèrent la tasse de café, mais
refusèrent la pointe de tarte. Henriette les avait installées au salon et les
trois femmes jasaient de choses et d’autres en guettant le retour de
Georges.
— C’est sa soirée de cartes du mardi avec des gars de l’usine. Ça fait deux ans
qu’il en rate pas une. Il devrait plus tarder, dit Henriette.
Elle était bien curieuse de savoir quel était le but de cette visite
inattendue. Polie, elle n’osait le demander directement.
— Georges va être surpris de vous trouver icitte. Il va peut-être penser que
quelque chose de grave est arrivé... Vous apportez pas une mauvaise nouvelle,
toujours ?
— Hélène et moi, on doit juste parler à Georges.
— Parce que les mauvaises nouvelles, on a eu notre lot cet automne. Excuse-moi
Julianna, je voulais pas tourner le fer dans la plaie.
— Il n’y a pas de mal, chère... la rassura Julianna. Zoel nous manque beaucoup,
cependant la vie continue, comme on dit.
— Comme ça, vous arrivez du chalet ?
— Je suis montée aller-retour à matin pour passer la journée avec Isabelle.
Elle défaisait ses décorations de Noël.
— Comment étaient les chemins dehors ? s’informa Henriette.
— Glissants... On a attrapé un peu de neige, répondit Julianna en essayant de
cacher sa nervosité. Jean-Baptiste a de bons réflexes. Il y avait une voiture en
avant de nous qui pensait que la route lui appartenait.
— Vous retournez toujours pas là-bas à soir ? s’alarma Henriette.
— Jamais de la vie ! Jean-Baptiste nous attend au restaurant en
haut de la rue. Quand on sera prêtes, il va nous ramener à Chicoutimi.
— Pis toi, Hélène, t’es pas restée au lac ?
— Euh, non... Je... je voulais voir papa.
Les yeux perçants d’Henriette cherchaient à lire sur le visage de ses invitées
la raison de leur présence en ce soir de janvier.
— Vous changez pas d’idée ? Pas de tarte au sucre ?
— Pas pour moi, déclina Julianna.
— Moi non plus, dit Hélène d’une petite voix.
Elle se sentait soudain si misérable ! Son cœur allait fendre ! Elle avait
envie de fuir, de se sauver de cette maison ! Elle aurait dû se marier en
cachette, les mettre devant le fait accompli. Au fond d’elle, elle rêvait d’une
belle cérémonie, entourée des siens. Elle voulait entrer à l’église au bras de
son père. Quand celui-ci arriverait, elle espérait de tout son cœur trouver les
mots justes pour le convaincre. Chapeau avait désiré effectuer cette démarche
avec elle, arguant qu’il devait se présenter à sa future belle-famille. Hélène
l’en avait dissuadé. Le contexte était particulier. Valait mieux la laisser
gérer la situation. Ce soir, elle regrettait presque la présence de son
amoureux. Sa force tranquille, son calme, sa sérénité auraient été bienvenus. Au
moins, sa tante Julianna la soutenait. Elle n’était pas d’accord avec son
choix ; cependant, elle allait le respecter.
Hélène se concentra sur sa tasse de café.
— J’ai allumé des lampions à l’église aujourd’hui, leur dit Henriette. Pour
tous ces petits anges morts lors du feu de
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