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Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

Titel: Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Heimermann
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Fatalement les deux se sont rencontrés, ne se sont plus quittés, et les voilà qui échangent des sourires amusés de part et d’autre d’une table couverte de salaisons et de fromages rustiques.
    A dire vrai, c’est plutôt Pierre Mazeaud, invité lui aussi, qui monopolise les débats. Avec l’éloquence du politique, mais aussi l’admiration due à son ancien compagnon d’escalade. « Je lui dois la vie, c’est aussi simple que cela. » L'ancien ministre n’en rajoute pas. Quelques heures plus tôt, il avait accepté de poser avec « l’ami Walter », bras dessus bras dessous, juste devant le Mont-Blanc et le fameux pilier central du Freney, sans évoquer le drame de 1961, mais en y pensant sûrement très fort. Deux cordées, une italienne et une française, qui s’unissent naturellement dans leurs efforts ; la tourmente qui emmaillote le glacier ; deux, trois, quatre compagnons portés disparus et Bonatti qui, une fois de plus, suggère une solution de repli pour les deux seuls fantômes parvenus à marcher dans ses pas... Parce qu’il est infaillible? Parce qu’il est indestructible? Mazeaud ose : « Il y a de la spiritualité chez cet homme-là... » Ou si ce n’est de la spiritualité, une parfaite fusion entre ses capacités avérées et ses ambitions mesurées, une inimitable connaissance de soi-même et une science assimilée de la neige, de la roche et de la météo qu’aucune machine moderne ne saurait atteindre.
    Bonatti déstabilise encore un peu plus lorsqu’il explique : « La rhétorique de l’alpinisme veut que, lorsqu’il arrive au sommet d’une montagne, le grimpeur accède au paradis, les yeux perdus dans l’immensité, installé dans un état second, une sorte de nirvana de bonheur et de satisfaction. Sincèrement je n’ai jamais ressenti cela. Mon principal plaisir, je l’ai toujours goûté en amont de l’escalade proprement dite. Parfois deux ou cinq jours avant de passer à l’action. A l’instant précis où je parvenais à me convaincre que j’étais capable de surmonter cet obstacle, ou même qu’un homme, quel qu’il soit, était en mesure de le faire, puisque souvent j’étais le premier à tenter une telle voie. Là, oui, quand l’éventualité rejoint enfin le possible, c’est le vrai bonheur! Après c’est dur, c’est pénible, c’est tout ce que vous voulez, mais ce n’est que de la matérialisation, de l’exécution, de la technique, rien en tout cas qui ressemble à cette minute si intense... »
    Un écrivain avant de se lancer à corps perdu dans un roman échafaudé dans ses moindres détails, un peintre à la veille d’exécuter une toile ruminée de longue date parlerait-il autrement ? Si Bonatti l’exigeant, Bonatti l’idéaliste se distingue du tout-venant, c’est bien en ce que, lui aussi, se définit d’abord comme un créateur, qu’il s’est depuis toujours inventé des rêves et qu’il n’a jamais gaspillé cette chance. « Gosse, j’ai habité un moment chez un oncle au bord du Pô et il ne m’en a pas fallu davantage pour m’imaginer sur les rives de l’Amazone... » Au cours de sa conversation, Bonatti utilise souvent le beau mot de « fantasie », mélange de français et d’italien, qui montre à quel point il a toujours été pareillement attiré par l’imagination et sa chimère : par les livres d’images et les récits au long cours; par les ailleurs où personne n’a jamais mis les pieds ; par les dehors toujours susceptibles d’exciter les sens des plus curieux.
    Bonatti parle aussi volontiers du « poids » psychologique des premières, le seul, à son goût, qui vaille la peine d’être porté, qui stimule tout autant qu’il rend fort, qui excite l’inventivité et apprend à mieux se connaître encore. Il ne faut pas le pousser beaucoup pour le faire parler de la grande « décadence » de l’alpinisme, pour le voir tirer à vue sur les « collectionneurs » ou les « compétiteurs », pour l’entendre excommunier les « faiseurs » et les « affabulateurs » qui, dans les parois, même les plus anodines, usent d’une quincaillerie (splits, coinceurs, poignées autobloquantes...) selon lui aussi dégradante que les boulets que l’administration pénitentiaire imposait aux chevilles des forçats.
    Par certains aspects, Bonatti rappelle volontiers le « Sisyphe » d’Albert Camus, ce jusqu’auboutiste forcené occupé à rouler une pierre gigantesque jusqu’au faîte d’une montagne et qui, à

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