Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
collection de signes prémonitoires, cela va de soi.
Bien avant son fils, Aldrin senior nourrit une folle passion pour les avions. Décroche un brevet au sortir de l’adolescence et un diplôme d’instructeur au terme de la Grande Guerre. On se pince : LeRoy Grunman, son élève le plus déterminé, sera le futur metteur au point du Lunar Excursion Module, l’insecte argenté d’où débarquera son fils cinquante ans plus tard ! Prédestination encore : le père inspiré d’origine suédoise a traversé l’Atlantique à bord du dirigeable Hindenburg . Mieux, à peine arrivé aux Etats-Unis, il fréquente Orville Wright, le premier aviateur de l’histoire, avec qui il fonde une école dans le Nebraska. Plus fort encore, il prend langue avec Robert Goddard, sans qui les fusées états-uniennes n’auraient jamais vu le jour, et incite Charles Lindbergh en personne à se reconvertir dans l’aviation commerciale...
Buzz n’a rien oublié de ce terreau favorable. Ni son premier périple aérien au-dessus de la Floride à bord d’un Lockheed Vega (« J’avais trois ans et je me suis senti mal tout du long... »), ni, surtout, le contexte passionné qui a présidé à son propre épanouissement. Etudes brillantes, formation millimétrée, embarquements multiples : le pilote d’essai excelle en tout. Même au combat. Soixante-six missions dans le ciel de Corée et deux Mig ennemis abattus au-dessus du fleuve Yalu. Certes, mais pourquoi la conquête spatiale ? Et pourquoi la Lune ?
Lorsque Edwin E. (pour l’état civil) rejoint la Nasa à la fin des années 1950, l’idée d’un vol habité tient encore de l’hérésie. Les Russes viennent tout juste de lancer une chienne dans le cosmos pendant que les Américains parlent d’y envoyer un singe. Les uns et les autres tergiversent. Sondes ou robots? Pilotes ou techniciens ? Les débats et les questions empoisonnent l’atmosphère et compliquent la conquête à venir. Gagarine montre l’exemple et Kennedy commande que les siens lui emboîtent le pas. Après un vol de routine en compagnie de Jim Lovell à bord de Gemini 12 , en 1966, Buzz Aldrin ne sait toujours pas à quoi s’en tenir.
Il a subi des tests par milliers, obéi à une discipline de fer, joué le jeu des médias, tourné en rond, attendu, patienté encore. « Nous étions installés sur des rails. Sans possibilité de prendre la moindre initiative. Mais, dans le même temps, il y avait cette part d’inconnu, cet insondable mystère qui nous motivait malgré tout. » Aldrin apprend qu’il sera du premier voyage lunaire le 9 janvier 1969, six mois avant l’échéance proprement dite. Comme lui, officier de l’US Air Force, fils et neveu de général, Mike Collins se félicite de l’accompagner, même s’il sait qu’il devra rester en orbite autour de la Lune. Neil Armstrong a volé sur plus de deux cents engins, échappé plus d’une fois à la mort, mais il est civil et cette dernière particularité jouera en sa faveur au moment de désigner l’ordre d’entrée des deux premiers piétons de l’espace.
Trente-six ans après, Buzz Aldrin s’attend bien sûr à la question rituelle, mieux, il l’anticipe : « Pourquoi Neil plutôt que moi ? C'était décidé ainsi, il n’y avait pas à discuter. Peut-être ai-je été frustré, c’est possible, mais pas sur le moment. Nous avions vraiment d’autres chats à fouetter. » Un programme à assumer, un échéancier à tenir. A-t-on oublié l’incroyable compétition qui opposait alors les Russes aux Américains ? L'emblème d’Apollo (Apollon, dieu grec de la lumière) et le rameau d’olivier installé in extremis dans les serres de l’aigle jusque-là occupé à transporter la foudre ? La liaison, un moment remise en cause, avec le président Nixon, messager de paix improvisé alors que pleuvaient encore les bombes dans le ciel du Vietnam ? Et surtout la fameuse sonde Luna 15 lancée depuis Baïkonour le 19 juillet et chargée de ramener des échantillons de roches au plus vite et qui s’écrasa le jour même de l’alunissage d’ Apollo 11 , à 480 kilomètres de la bannière étoilée tout juste déployée ?
« L'enjeu était énorme, et rien, je vous l’assure, n’a été laissé au hasard. Avant de nous extraire du Lem nous avons dû nous soumettre à une checklist de 180 pages. L'opération a duré près de quarante minutes. » Il est 21 h 56 (heure de Houston) lorsque Armstrong entame son premier pas lunaire et 22 h 11
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