Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
s’accrochera à ses principes, comme hier à ses coins de bois. Peut-être tout simplement parce que, sur le romantisme, jamais le temps n’aura de prise.
BUZZ ALDRIN
Toujours dans la lune
Lorsque vous serrez la main de Buzz Aldrin, l’envie vous prend d’abord de regarder ses pieds. De saluer deux phénomènes qui, à l’instar de ceux de Neil Armstrong, son compagnon, eurent le privilège de fouler la Lune. Ce matin-là, ses deux extrémités étaient alignées sur la moquette gris perle de la suite n° 2054 de l’hôtel Intercontinental de Paris. Deux mocassins vernis, d’allure italienne, qui n’avaient en définitive qu’un très lointain rapport avec les fameuses moon boots semblables à de gros pneus et dont les empreintes ont à jamais marqué nos mémoires.
C'était en juillet 1969, Eddy Merckx était en passe de prendre le pouvoir en France et le général de Gaulle de battre en retraite en Irlande. La nuit du 20 au 21 n’en finissait plus. Les commentaires télévisés étaient incertains et les images tout autant. Comme dans un rêve, deux bibendums dodelinèrent de conserve en des gestes enfantins. « Un petit pas pour l’homme et un grand pas pour l’humanité. » Une manière de communion solennelle relayée à 380 000 kilomètres de distance et goûtée, insistait le Paris Match de la semaine suivante, par plus de 600 millions de Terriens.
Reparler de la Lune? Du compte à rebours, des changements d’orbite, des sauts de kangourou ? Calé au creux d’un canapé interminable, cheveux ras et yeux d’azur, Buzz Aldrin accepte de bon gré. Il est bien le seul. Depuis longtemps déjà, Neil Armstrong a pris le parti de se taire. Tour à tour professeur à l’université de Cincinnati, conseiller en recherche pétrolière, responsable d’une société d’électronique, le premier homme sur la Lune ne quitte sa ferme de l’Ohio qu’à regret. Les discours l’indisposent et les commémorations l’ennuient.
Une constante. Revenus les pieds sur terre, les astronautes ont souvent éprouvé des difficultés à retrouver leur point d’équilibre. Les douze voyageurs lunaires, en particulier, furent victimes de sautes d’humeur intempestives ou de crises de mélancolie incontrôlables. On se souvient de Charles Duke transformé en prédicateur, d’Alan Bean reconverti dans la peinture ou de James Irwin parti à la recherche des restes de l’arche de Noé au sommet du mont Ararat !
Buzz Aldrin comprend : « Vous n’avez pas idée du cirque qui a suivi notre retour. Les conférences, les médailles, les tournées. Une vraie folie... » Lui-même n’a pas été épargné. Dépression, divorce, traitements psychiatriques, cures de désintoxication : pendant une bonne demi-douzaine d’années, sa vie, redevenue banale, fut tout juste supportable. Mais de ce sujet encore, il accepte de débattre. Sans pudeur, ni retenue. Comme si ce supplément de programme était le logique tribut à payer à la notoriété qui lui confère un statut de pionnier.
Sur la table basse s’éparpillent quelques articles de presse, un roman de science-fiction (Rencontre avec Tiber) devenu best-seller, et une brochure grand format sur papier glacé. A soixante-quinze ans, plus de trente ans après son exploit, Aldrin écrit pour se détendre, mais joue plus sérieusement le commis voyageur d’une entreprise soucieuse de développer le tourisme interplanétaire. Une vieille marotte. Depuis le début des années 1980, le diplômé du Massachusetts Institute of Technology, docteur en astronautique et auteur d’une thèse sur les rendez-vous orbitaux, n’en démord pas : les stations relais et les fusées recyclables sont pour demain. « Ce n’est qu’une question de volonté. Le jour où l’espace sera vraiment ouvert aux initiatives privées, les candidats aux découvertes sidérales se bousculeront au portillon. »
Buzz ne doute de rien. Mais a-t-il jamais douté ? Au beau milieu de la conversation, il ose : « Pourquoi fait-on quelque chose ? » Et répond dans l’instant : « Peut-être, tout simplement, parce que l’on a été choisi... » De toute évidence, l’homme au QI supérieur (classé troisième de sa promo à West Point) et au physique de champion (il skie, plonge et court toujours avec assiduité) fait grand cas des sous-entendus messianiques et des coïncidences symboliques... Le nom de jeune fille de sa mère ? Moon (lune), bien sûr. Le parcours professionnel de son père ? Une
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