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Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

Titel: Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Heimermann
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petites phrases qu’il a écrites dans A travers le Groenland , les plus significatives jamais suggérées par un explorateur. Nansen vient de traverser l’île verte d’est en ouest avec son compagnon. Ils ont pris du retard et le bateau qui est censé les récupérer n’est pas au rendez-vous. Ils patientent : rien ! Et Nansen d’écrire : “ Puisqu’il n’y a pas de bateau, nous passerons donc un hiver de plus au Groenland. ” Rien d’autre : pas une plainte, pas un superlatif, rien que la réalité de la situation ! » En contrepoint de cette réaction minimaliste, empreinte de sagesse et de force, Bonatti s’interdit d’évoquer tous les comptes rendus modernes, tous les enfers décrits, toutes les guerres de 14 rapportées, mais son léger sourire ne laisse planer aucune équivoque...
    Des situations périlleuses, le grimpeur indestructible en a connu, mais la lecture de ses textes – incisifs et beaux comme du cristal – suffit à nous convaincre de son peu de goût pour l’emphase. Parce que seuls importent les actes. Parce que seuls comptent les faits. En août 1955 – il a vingt-cinq ans – Bonatti se met en tête d’escalader la « cime parfaite », le pilier sud-ouest des Drus, inimitable dent de granit jusque-là inviolée, dont l’ascension mérite d’être détaillée pour ce qu’elle dit de son vainqueur et, plus encore, de sa manière d’envisager l’existence. Pour tout compagnon, Bonatti emporte – le décompte a son importance – soixante-dix-neuf pitons, deux marteaux, quinze mousquetons, trois étriers à trois marches, deux cordes de quarante mètres, douze cordelettes, six coins de bois, un piolet, un réchaud à alcool, un vêtement de bivouac et cinq jours de vivres. Oui, cinq jours. Le temps estimé pour venir à bout de ce que lui-même intitulera son « chef-d’œuvre ». Quelques semaines plus tôt, le novateur a tenté l’impossible avec deux, puis trois acolytes. En vain. Le revoilà donc, seul, sans appui ni aide. Le début de l’ascension est usant, mais négociable. Au mitan du quatrième jour, la situation se complique : il se retrouve coincé au fond d’un cul-de-sac. Incapable de revenir sur sa gauche, ayant « rappelé » la corde qui lui a permis d’accéder jusqu’à cet endroit; incapable de descendre en rappel, la roche « rentrant » sous ses pieds au moins sur trois cents mètres ; incapable de partir par le haut, dominé qu’il est par un « toit » de granit lui-même infranchissable. Sur la droite, la situation n’est guère plus enthousiasmante : à douze mètres affleurent quelques écailles de pierre, mais comment les atteindre ? « Dans ces cas-là, toutes vos méninges se mettent en action. C'est l’instinct de survie qui prime, c’est la peur qui alimente le courage... »
    En désespoir de cause, Bonatti imagine une bola , à la manière des gauchos argentins, une corde dotée en son extrémité de cordelettes, elles-mêmes agrémentées d’anneaux et de crochets susceptibles de « mordre » dans les fameuses écailles. Douze tentatives plus tard le lasso improvisé s’agrippe enfin, mais dérape à la première tension. Nouvel essai et nouvelle impatience : au bout d’une heure, ayant réservé son auto-assurance à son sac désormais suspendu à la verticale de son point d’arrivée supposé, « coincé entre l’envie de vivre et celle de se laisser mourir », Bonatti se jette dans le vide les yeux fermés... Un geste insensé, une porte de sortie inimaginable, certes couronnée de succès, mais qui jamais ne sera réitérée, ni même seulement envisagée !
    Devant le chalet de Ruggero, l’herbe tendre et l’horizon dégagé invitent à des échanges moins extrêmes. Bonatti, souriant et chaleureux comme on ne l’aurait pas imaginé, s’inquiète de l’itinéraire de la balade prévue le lendemain. Sa voix respire le soleil, mais ne porte guère, pas plus que celle de Rossana Podesta, sa délicieuse épouse, « la » Podesta, comme Cinecittà et Hollywood réunis la nommaient avec respect à l’époque où elle jouait les beautés fatales dans quantité de films à grand spectacle. « Qu’aimeriez-vous faire après votre métier d’actrice ? » lui avait demandé un reporter à la fin des années 1970. « J’aimerais devenir l’appareil photo de Bonatti ! » s’était contentée de répondre la star. Un troisième œil en quelque sorte, susceptible de découvrir l’impossible et le monde tout à la fois.

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