Azteca
laisser seuls. Mon père m’aperçut et
sur un ton irrité, il me pria de partir ; ce n’était pas un spectacle pour
un jeune garçon. Pendant que Xicama s’entretenait avec le prêtre, quatre hommes
ramassèrent sa moitié inférieure encore frémissante et puante, pour la porter
au sommet de la carrière. L’un d’eux se mit à vomir en chemin.
Xicama n’avait pas mené de vie bien infamante ; il ne lui fallut
pas longtemps pour confesser à « Mangeuse d’ordures » ce qu’il
regrettait d’avoir fait ou pas. Une fois que le prêtre l’eut absous au nom de
la déesse, qu’il eut prononcé les paroles et exécuté les gestes rituels, il
s’en retourna. Quatre hommes soulevèrent doucement la partie encore vivante de
Xicama et la transportèrent aussi rapidement que possible, en évitant de la
bousculer, vers le sommet de la carrière.
On espérait qu’il vivrait assez longtemps pour arriver au village, dire
lui-même adieu à sa famille et saluer ses dieux favoris. Mais, à un endroit de
la rampe en spirale, son corps refermé se rouvrit, laissant échapper son sang,
son petit déjeuner et autres substances. Il cessa de parler et de respirer et
ferma les yeux ; il ne reverrait jamais le vert des arbres.
Autrefois, une partie du calcaire de Xaltocán avait servi à la
construction de l’icpac tlamanacalli et du teocalli de notre île, ou comme vous
dites, de la pyramide et des temples. On mettait toujours de côté une partie de
la pierre excavée pour payer les taxes au Trésor national et le tribut annuel à
l’Orateur Vénéré et à son conseil. (Le Uey tlatoani Motecuzoma mourut quand
j’avais trois ans et le trône et le gouvernement étaient passés à son fils
Axayacatl, Visage d’Eau.) Une autre partie était réservée à notre tecuhtli, ou
gouverneur, à quelques nobles de rang et aux dépenses de l’île :
construction de canots pour le transport, achat d’esclaves pour faire les
travaux les plus sales, paiement des salaires des carriers et autres choses du
même genre. Toutefois, il restait la plus grande partie de notre production
minière pour l’exportation et le troc.
Cela permettait à Xaltocán d’importer produits et denrées que le
tecuhtli partageait entre ses sujets, selon leur rang et leur mérite. En plus,
tous les habitants de l’île – sauf les esclaves, bien entendu, et les gens des
classes inférieures – étaient autorisés à construire leur maison avec ce
calcaire. Aussi Xaltocán ne ressemblait-elle pas à la plupart des autres
communautés, où les habitations étaient, le plus souvent, faites en briques de
boue séchée, en bois ou en roseau, où de nombreuses familles pouvaient être
entassées dans un seul grand bâtiment communal et où il y avait même des gens
qui vivaient dans des grottes taillées dans la falaise. Bien que ma maison
n’eût que trois pièces, elle était pavée de dalles de calcaire blanc lissé. Peu
de palais du Monde Unique pouvaient s’enorgueillir d’être bâtis dans un
matériau aussi noble. Il s’ensuivait également que les arbres de l’île
n’avaient pas été saccagés, comme dans bien d’autres endroits habités de la
vallée.
De mon temps, le gouverneur s’appelait Tlauque-choltzin, le Seigneur
Héron Rouge – ses lointains ancêtres avaient été parmi les premiers Mexicatl à
s’installer sur l’île et c’était l’homme qui avait le rang le plus élevé parmi
la noblesse locale. Comme c’était la coutume dans la plupart des districts et
des communautés, cela lui assurait d’être tecuhtli à vie, délégué au conseil
présidé par l’Orateur Vénéré et chef de l’île, de ses carrières, du lac
environnant et de chacun de ses habitants – sauf, dans une certaine mesure, des
prêtres qui affirmaient ne dépendre que des dieux.
Les communautés n’avaient pas toutes autant de chance que Xaltocán,
avec leur gouverneur. Les membres de la noblesse devaient mener une vie digne
de leur rang – c’est-à-dire, être noble – mais tous ne l’étaient pas. On ne
pouvait pas rétrograder à une classe inférieure un pilli né dans la noblesse,
quelle qu’ait été l’indignité de sa conduite. Si son comportement était jugé
sans excuses par ses pairs, il pouvait être radié de sa charge et, même, être
condamné à mort. Je dois dire aussi que si la majorité des nobles était issue
de parents nobles, il n’était pas impossible à un simple roturier de s’élever à
cette classe
Weitere Kostenlose Bücher