Azteca
supérieure.
Je me souviens de deux citoyens de Xaltocán qui furent élevés à la
dignité de pilli par le macehualli et à qui on accorda à vie un confortable
revenu. Colotic-Miztli, personne d’un certain âge qui avait jadis été un
guerrier, avait mérité le nom de Fier Lion de la Montagne, grâce à quelque
grand fait d’armes dans une guerre maintenant oubliée, contre un ennemi ancien.
L’autre était Quali-Ameyatl, ou Bonne Fontaine, jeune architecte à l’air doux,
qui n’avait rien fait d’autre que de dessiner des jardins pour le palais du
gouverneur. Mais Ameyatl était aussi beau que Miztzin était laid, et pendant
qu’il travaillait au palais, il gagna le cœur d’une dénommée Goutte de Rosée,
qui se trouvait être la fille du gouverneur. Quand il l’épousa, il prit le nom
de Seigneur Fontaine.
J’ai essayé de vous montrer que notre Seigneur Héron Rouge était
intelligent et généreux, mais c’était, avant tout, un homme juste. Quand Goutte
de Rosée, sa propre fille, fatiguée de son Seigneur Fontaine, de basse souche,
fut surprise en train de commettre l’adultère avec un pilli de naissance, Héron
Rouge ordonna qu’ils soient tous deux mis à mort. Plusieurs nobles demandèrent
que la jeune femme soit épargnée et simplement bannie de l’île. Le mari
lui-même jura qu’il pardonnait à sa femme et qu’il partirait avec elle dans
quelque contrée éloignée. Mais le gouverneur demeura inflexible, bien que nous
sachions tous qu’il aimait beaucoup sa fille.
« On dirait que je suis injuste si, pour ma propre enfant, je
faisais fi d’une loi qui s’applique à tous mes sujets. » Et il dit à
Seigneur Fontaine : « Un jour, les gens iraient raconter que tu as
pardonné à ma fille à cause de ma position et non de ton plein gré. » Et
il ordonna que toutes les filles et les femmes de Xaltocán viennent au palais
pour assister à l’exécution de Goutte de Rosée. « Surtout les filles
nubiles, mais pas encore mariées, dit-il, car elles ont le sang chaud, et elles
pourraient être tentées de sympathiser avec les badinages de ma fille et même
de les envier. Il faut qu’elles soient frappées par la mort de ma fille, afin
qu’elles réfléchissent à la gravité des conséquences. »
Ma mère alla donc voir l’exécution et elle emmena Tzitzitlini. Au
retour, ma mère raconta que la coupable Goutte de Rosée et son amant avaient
été étranglés avec des cordes dissimulées sous des guirlandes de fleurs, devant
la populace tout entière et que la jeune femme avait très mal réagi à son sort,
en criant, en suppliant et en se débattant ; que le Seigneur Fontaine, le
mari trahi, avait pleuré, mais que le Seigneur Héron Rouge était resté
imperturbable. Tzitzi ne fit pas de commentaires. Elle me dit pourtant avoir
rencontré au palais le jeune frère de la condamnée, Pactli, le fils de Héron
Rouge.
« Il m’a regardée longtemps, me dit-elle en frissonnant, et il a
souri de toutes ses dents. Comment peut-on faire une chose pareille, en une
telle circonstance ? J’en ai eu la chair de poule. »
J’aurais bien parié que Héron Rouge ne souriait pas ce jour-là. Mais
vous comprendrez pourquoi les gens de l’île estimaient l’impartialité de leur
gouverneur. Nous souhaitions tous que Héron Rouge vive très vieux, car la
perspective d’être gouvernés par son fils Pactli ne nous réjouissait pas. C’est
un nom qui signifie « Joie », mais il était bien mal porté. Il était
déjà un gamin despotique et emporté bien avant de porter le pagne viril. Bien
sûr, cet exécrable rejeton d’un père aussi aimable ne se mêlait pas aux garçons
de la classe moyenne comme Tlatli, Chimali et moi et de toute manière, il était
plus âgé d’un an ou deux. Mais, quand la beauté de ma sœur s’épanouit, Pactli
se mit à lui manifester un intérêt croissant, tandis qu’elle et moi éprouvions
pour lui une haine particulière. Mais nous n’en étions pas encore là.
Notre communauté était prospère, douillette et paisible. Nous avions la
chance de vivre là, sans avoir besoin de suer sang et eau pour subsister. On
pouvait contempler l’horizon au-delà de notre île et les hauteurs qui étaient
au-dessus de nous. Nous pouvions rêver, comme mes amis Chimali et Tlatli. Leurs
pères étaient sculpteurs à la carrière et contrairement à moi, ils aspiraient à
suivre leurs traces, tout en étant plus ambitieux qu’eux.
« Je serai
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