Azteca
à l’inévitable, comme c’était le cas le plus
souvent.
L’idée qui me vint ensuite me parut moins plaisante. L’enfant risquait
d’être handicapé, dès la naissance, au cas où il hériterait de ma mauvaise vue.
Lui, au moins, n’aurait pas à tâtonner et à trébucher comme je l’avais fait
pendant des années avant de découvrir le cristal magique. Je me l’imaginais
incapable de se déplacer sans cela et affublé du surnom cruel d’Œil Jaune par
ses camarades…
Si c’était une fille, ce défaut serait moins gênant. L’apparence de ma
fille compterait davantage que sa vision. Mais, quelle pensée
angoissante ! Si elle allait hériter à la fois de mes yeux et de mon aspect.
Un garçon pourrait être fier d’avoir une tête haute, mais une fille en serait
navrée et sa seule vue me révolterait. J’imaginais alors que notre fille allait
ressembler à l’énorme nourrice.
Un autre souci vint m’assaillir. Les jours précédant la conception de
l’enfant, Zyanya avait été en rapport avec les monstrueuses jumelles. Il était
notoire que beaucoup d’enfants naissaient contrefaits et anormaux quand leur
mère avait été en contact avec des choses repoussantes. Pis encore, Zyanya
avait parlé de « la fin de l’année », le moment des cinq nemontemi.
C’était un mauvais présage pour un enfant de naître pendant ces cinq jours
néfastes et sans vie au point que certains parents laissaient l’enfant mourir
de faim ; bien plus, on les y encourageait. Je n’étais pas superstitieux à
ce point, mais tout de même, quel fardeau, quel monstre allait être cet
enfant ?
« Je serai une misérable loque avant peu de temps, déclarai-je à
Zyanya le lendemain matin. Je me demande si tous les pères connaissent les
mêmes affres que moi.
— Sûrement pas autant que les mères, me répondit-elle en souriant.
La différence, c’est qu’une mère sait qu’elle ne peut rien faire d’autre que
d’attendre.
— Je ne vois pas non plus ce que je pourrais faire d’autre,
soupirai-je. Il ne me reste qu’à m’occuper de toi et à veiller à ce qu’il ne
t’arrive rien.
— Si tu fais ça, je suis perdue ! s’écria-t-elle avec un
accent de grande sincérité. Je t’en prie, trouve autre chose pour te
distraire. »
Piqué et vexé par ce refus, je partis en boudant pour aller prendre mon
bain. Lorsque je redescendis, un visiteur se présenta qui vint me changer les
idées. C’était Cozcatl.
« Ayyo . Tu es déjà au courant ? m’exclamai-je. C’est
gentil d’être venu si vite. »
Il sembla intrigué par mes paroles. « Au courant de quoi ? me
demanda-t-il. En fait, je suis venu pour…»
Je l’interrompis : « Mais, que nous allons avoir un
enfant. »
Il pâlit, puis me dit : « Je suis content pour vous, Mixtli
et aussi pour Zyanya. Je vais prier les dieux pour qu’ils vous donnent un bel
enfant. » Puis, il se mit à bredouiller : « J’ai été troublé à
cause de cette coïncidence ; parce que moi, je viens vous demander la
permission de me marier.
— Te marier ? Ta nouvelle est aussi extraordinaire que la
mienne. Quand je pense que le petit Cozcatl a l’âge de se marier. Je ne me
rends pas compte que les années passent. Mais, pourquoi me parles-tu de
permission ?
— La fille que je veux épouser n’est pas libre de se marier. C’est
une esclave.
— Ah bon ! » Je ne comprenais toujours pas. « Tu as
certainement les moyens d’acheter sa liberté.
— Bien sûr, mais est-ce que vous me la vendrez ? Je veux
épouser Quequelmiqui et elle aussi.
— Quoi ?
— C’est grâce à vous que je l’ai connue et je dois avouer que si
je viens si souvent vous rendre visite, c’est pour avoir l’occasion d’être un
peu avec elle. C’est principalement dans votre cuisine que j’ai fait ma
cour. »
J’étais stupéfait. « Chatouilleuse, notre petite servante. Mais ce
n’est qu’une adolescente !
— Elle l’était quand vous l’avez achetée, me rappela gentiment
Cozcatl. Mais les années ont passé. »
C’est pourtant vrai, pensai-je. Chatouilleuse n’avait qu’un an ou deux
de moins que Cozcatl qui devait avoir maintenant… voyons… vingt-deux ans.
Magnanime, je lui déclarai : « Tu as ma permission et mes
félicitations. Mais tu ne l’achèteras pas. Elle sera notre premier cadeau de
mariage. Non, non, ne proteste pas. J’y tiens. Si tu ne l’avais pas éduquée,
elle ne serait pas digne
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