Azteca
soulagement à voir que la pluie et le vent arrivaient
derrière moi – du sud-ouest, d’après la position du soleil – et que par
conséquent, je ne serais pas repoussé encore davantage vers la haute mer.
Et pourtant, peu importait l’endroit où j’irais sombrer, car il me
semblait bien que cette aventure finirait ainsi. Le vent et la pluie ne
cessaient pas et l’océan continuait à faire danser mon acali, aussi je ne
pouvais ni dormir, ni même me reposer et j’étais obligé de vider sans cesse
l’eau qui entrait dans le bateau. J’étais si faible que le bol me semblait plus
lourd qu’une jarre de pierre. Je finis par sombrer dans une sorte de torpeur et
je suis incapable de dire combien de jours et de nuits je passai ainsi à écoper
machinalement. Je me souviens néanmoins que, vers la fin, mes mouvements
étaient de plus en plus lents et le niveau de l’eau de plus en plus élevé.
Lorsqu’enfin je sentis le fond du bateau toucher le fond de la mer et que je
sus que j’avais sombré, je m’étonnai vaguement de ne pas sentir l’eau me
recouvrir et les poissons jouer dans mes cheveux.
J’avais dû perdre connaissance, car lorsque je revins à moi, il ne
pleuvait plus, le soleil brillait et je regardai autour de moi, émerveillé. Je
m’étais bien échoué, mais dans un endroit peu profond. L’eau ne m’arrivait qu’à
la ceinture car l’acali s’était abîmé sur une plage de galets qui s’étendait à
perte de vue des deux côtés, sans un seul signe de vie humaine. A bout de
forces, je sortis de mon canoë et, traînant mon ballot trempé, j’atteignis le
rivage. Des cocotiers poussaient derrière la plage, mais j’étais bien trop
faible pour y grimper ou même pour les secouer ou chercher une nourriture
quelconque. Je sortis à grand-peine le contenu de mon sac pour le faire sécher
au soleil et je retombai dans l’inconscience.
Quand je me réveillai, il faisait noir et je mis un moment pour
réaliser que je n’étais plus ballotté par les vagues. Je n’avais pas la moindre
idée de l’endroit où je me trouvais, mais il me semblait que je n’étais pas
seul car j’entendais autour de moi des crépitements mystérieux et inquiétants.
Ils semblaient venir de partout et de nulle part comme un feu de broussailles
se resserrant sur moi ou comme une armée cherchant à m’encercler – sans prendre
beaucoup de précautions, car j’entendais bouger les galets et craquer les
brindilles qui jonchaient la plage. Je m’assis et le bruit cessa aussitôt, mais
quand je me recouchai, le sinistre vacarme reprit. Pendant toute la nuit, à
chaque fois que je remuais, le crépitement s’arrêtait, puis reprenait. Je
n’avais pas fait de feu avec mon cristal pendant que le soleil était là et je
n’avais plus aucun moyen de fabriquer une torche. Je ne pouvais rien faire
d’autre que de rester éveillé à attendre que quelque chose me saute dessus
quand, enfin, les premières lueurs de l’aube me permirent de voir ce dont il
s’agissait.
Cette vision me donna la chair de poule. La plage tout entière, sauf un
petit cercle autour de moi, était recouverte de crabes gris-brun, grands comme
ma main, qui dérapaient maladroitement sur le sable en se cognant les uns aux
autres. De plus, leurs deux pinces de devant étaient différentes. Ils se
servaient de la petite comme d’une baguette de tambour pour taper sur la
grosse, sans jamais se lasser et d’une manière très peu musicale.
L’aube semblait être le signal qu’ils attendaient pour mettre un terme
à leur ridicule cérémonie. La horde innombrable s’éclaircit peu à peu, à mesure
qu’ils rentraient sous les sables, mais j’arrivai à en attraper quelques-uns
car je trouvais qu’ils me devaient bien une compensation pour m’avoir tenu dans
l’angoisse toute la nuit. Leur corps était petit et il n’y avait presque rien à
en tirer, mais la grosse pince-tambour me fit un savoureux petit déjeuner,
lorsque je l’eus fait griller sur le feu.
Enfin, rassasié pour la première fois depuis bien longtemps et ayant un
peu récupéré mes forces, je m’écartai du feu pour faire le point. J’étais
revenu dans le Monde Unique et certainement toujours sur la côte ouest, mais bien
plus au nord qu’avant. A l’ouest, la mer s’étalait toujours jusqu’à l’horizon,
mais elle était bien plus calme qu’au sud ; pas de rouleaux ni même de
ressac, juste un petit clapot sur le rivage. De l’autre côté,
Weitere Kostenlose Bücher