Azteca
îles des Femmes dont parlent les légendes, mais que personne
n’a réellement abordées. Il paraît qu’elles sont uniquement habitées par des
femmes qui vont chercher les huîtres perlières dans les eaux profondes. Ces
femmes ne voient des hommes qu’une fois par an quand ils viennent du continent
pour échanger des tissus et d’autres marchandises contre ces perles. A cette
occasion, elles s’unissent à eux, ne gardant, des enfants nés de ces brefs
accouplements, que les filles et noyant les garçons. Je songeais à ce qui
m’arriverait si j’échouais sur ces îles. Serais-je immédiatement massacré, ou
soumis à un viol collectif ?
En réalité, ni ces îles mythiques, ni aucune autre n’apparurent et je
continuai à dériver lamentablement sur les eaux sans bornes. L’océan
m’entourait de toutes parts et j’avais l’impression angoissante d’être une
fourmi tombée au fond d’une jarre bleue dont les flancs seraient glissants et
insurmontables. La nuit me semblait moins inquiétante quand je rangeais ma
topaze pour ne pas voir la multitude des étoiles. Dans le noir je pouvais me
croire en sécurité sur quelque chose de solide, dans une forêt, ou même chez
moi. J’essayais de me persuader que le bateau où j’étais balancé était mon
gishe de corde et, grâce à ça, je m’endormais profondément. Le jour, par
contre, je ne pouvais m’imaginer que j’étais ailleurs qu’au beau milieu d’une
effrayante étendue bleue, chaude et sans ombre. Heureusement, j’avais d’autres
choses à observer que les flots infinis et indifférents.
Sans en avoir jamais vu, je reconnus aussitôt les grands espadons qui
bondissaient hors de l’eau et dansaient sur leur queue et aussi, les
poissons-scies encore plus gros, plats et bruns, munis de nageoires allongées
comme les ailerons d’un écureuil volant. J’en identifiai deux à leur terrible
éperon que les guerriers de certaines tribus côtières utilisaient comme arme.
Je redoutais que l’un d’eux ne vienne s’attaquer à mon acali, mais aucun ne
s’approcha.
D’autres m’étaient totalement inconnus. Par exemple, des petites
créatures aux longues nageoires qui leur servaient d’ailes pour jaillir de
l’eau et glisser sur des distances prodigieuses. Je crus d’abord que c’étaient
des insectes marins, mais l’un d’eux, ayant atterri dans mon bateau, je le
saisis, le mangeai, et je m’aperçus qu’il avait un goût de poisson. Je vis
aussi d’énormes poissons bleu-gris, qui me regardaient avec des yeux
intelligents et un sourire figé et que je trouvai plutôt sympathiques. Ils
faisaient un bout de chemin avec moi et me distrayaient par leurs acrobaties.
Cependant, d’autres poissons beaucoup plus gros me remplissaient
vraiment d’effroi. C’étaient d’énormes bêtes grises qui venaient de temps à
autre se chauffer à la surface et qui tournaient parfois autour de moi pendant
la moitié de la journée, comme si elles avaient besoin d’une bouffée d’air et
d’un rayon de soleil, ce qui est un comportement curieux chez un poisson.
C’étaient les créatures les plus gigantesques que j’aie jamais vues. Vous ne me
croirez peut-être pas, mes révérends, si je vous dis qu’elles étaient aussi
longues que la place qui est sous nos fenêtres et que leur largeur et leur
masse étaient en proportion. Quand j’avais été dans le Xoconochco, des années
auparavant, on m’avait servi un plat de yeyemichi et le cuisinier m’avait dit
que c’était le plus gros poisson des mers. Si c’est vraiment une tranche de ces
grandes pyramides flottantes que j’ai mangée ce jour-là, je regrette bien de ne
pas avoir cherché à rencontrer l’homme héroïque – ou l’armée – qui avait
capturé ce monstre, pour lui exprimer mon admiration.
Tout en s’amusant, deux de ces animaux auraient pu facilement écraser
mon acali et moi avec, sans même s’en apercevoir, mais aucune infortune ne
m’arriva. Le sixième ou septième jour de cette expédition involontaire, alors
que j’avais léché la dernière goutte du jus de poisson et que j’étais
complètement desséché et anéanti, une averse vint s’abattre sur l’océan comme
un voile gris, je remplis mon bol et le vidai deux ou trois fois, mais j’étais
inquiet car la pluie avait amené un vent qui agitait la mer. Mon embarcation
était ballottée comme un fétu et il fallut que je me mette à écoper. Cependant,
j’éprouvais un certain
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