Azteca
se
passer », lui répondit l’autre.
Tes-disora nous regardait, stupéfait et pantelant. Un de ses compagnons
haleta avec un accent d’incrédulité :
« Ils ne sont… pas encore… passés ici ? »
Le reste des participants arrivait peu à peu. Tout le monde hochait la
tête et se regardait sans comprendre.
« Notre village », dit une voix basse et angoissée.
« Nos femmes », ajouta une autre, plus forte et encore plus
inquiète.
Et l’étranger articula d’un ton tremblant :
« Les meilleurs d’entre nous. »
L’angoisse et la stupeur se lisaient dans tous les regards. Leurs yeux
atterrés se tournèrent vers le nord-est et dans le bref instant de silence
qu’il y eut avant qu’ils ne me quittent et se mettent à courir plus vite que
jamais, j’entendis l’un d’eux prononcer ces mots : « Les
Yaki ! »
Je ne les ai pas suivis à Guaguey-bo. Je n’y suis jamais retourné.
J’étais un étranger et je n’avais pas ma place dans leur affliction. Je savais
ce qu’ils allaient découvrir : les bandits yaki et les coureurs de
Guacho-chi avaient dû arriver à peu près en même temps à Guaguey-bo et ces derniers
étaient trop épuisés pour opposer une résistance à ces sauvages. Les Yaki
avaient certainement scalpé tous les hommes avant de les massacrer et je ne
voulais même pas songer au sort qu’avaient dû subir le si-riame, la petite
Vi-rikôta et les autres femmes du village avant de mourir. Je suppose
qu’ensuite les survivants s’étaient partagés pour repeupler leurs villages,
mais je n’en aurai jamais la certitude.
Je n’ai jamais non plus vu de Yaki, pourtant cela m’aurait fort
intéressé – à condition qu’eux ne me voient pas – car ces êtres redoutables
doivent être étonnants à observer. Dans toute mon existence, je n’ai rencontré
qu’un seul homme qui les ait connus, l’Ancien de la Maison des Pochteca. Vous
autres, Espagnols, vous ne vous êtes jamais trouvés en leur présence, car vous
ne vous êtes pas encore aventurés si loin au nord et à l’ouest. Voyez-vous, je
crois que je pourrais même avoir de la pitié pour un Espagnol qui tomberait
entre leurs mains.
Je regardai disparaître ces hommes dans la forêt et je leur adressai un
adieu silencieux, puis, je m’accroupis pour préparer mon pinolli et je mâchai
un peu de jipuri pour rester éveillé pendant le reste de la journée. Ensuite,
après avoir dispersé les cendres du feu de camp, je me relevai et partis vers
le sud. J’avais été heureux chez les Tarahumara et j’étais très peiné de ce qui
s’était passé. Toutefois, j’avais de bons habits de daim, des sandales d’ours
et des poches de cuir pour mettre l’eau et la nourriture ; il me restait
ma lame de silex, ma topaze et mon cristal à feu. Je n’avais rien laissé
derrière moi à Guagùey-bo, à part le temps passé. Mais même cela, j’en garde le
souvenir.
IHS
A.I.M.C.
A Son Auguste et Impériale Majesté Catholique, l’Empereur Charles
Quint, Notre Roi :
Très Superbe et Auguste Majesté, de la ville de Mexico, capitale de la
Nouvelle-Espagne, en ce jour de la Saint-Ambroise de l’année mille cinq cent
trente de Notre Seigneur Jésus-Christ, nous vous envoyons nos salutations.
Sire, dans nos dernières lettres, nous nous sommes étendus sur nos
activités en tant que Protecteur des Indiens. Examinons maintenant notre
fonction première qui est celle d’Evêque de Mexico chargé de propager la Vraie
Foi parmi ces Indiens. Comme Votre Majesté le discernera sans aucun doute à
travers les pages suivantes de la chronique de l’Aztèque, ces gens ont toujours
été ridiculement superstitieux ; ils voient des présages et des signes non
seulement là où les voient les nommes raisonnables – dans les éclipses du
soleil, par exemple –, mais aussi dans toutes choses, depuis les coïncidences
les plus banales, jusqu’aux phénomènes naturels les plus courants. Cette
tendance à la superstition et à la crédulité nous a à la fois aidé et gêné dans
la lutte incessante que nous menons pour les conduire vers le Christ.
Dans leur première et victorieuse campagne dans ce pays, les
Conquistadores espagnols ont fait un travail admirable en jetant bas tous les
temples et les idoles de ces divinités païennes et en installant à leur place
la Croix du Christ et la statue de la Vierge Marie. Avec notre clergé, nous
avons poursuivi cette œuvre en érigeant des édifices
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