Azteca
poursuivre à nouveau. J’avais pris soin de ne pas
trop manger et de ne pas boire de tesguino et, cette fois, je la rattrapai
assez facilement.
Après avoir pris quelques morceaux de jipuri, nous partîmes tous deux
en direction d’une jolie clairière au milieu des bois. Il me fallut mâcher une
bonne quantité de ces cactus moins puissants pour approcher les sensations que
j’avais expérimentées avec le si-riame et pour sentir mes sens changer de
fonction. Cette fois les couleurs des fleurs et des papillons se mirent à chanter.
Vi-rikôta avait, elle aussi, un médaillon entre les jambes ; comme
je n’en avais pas encore épuisé la nouveauté, je fis preuve, cette fois encore,
de beaucoup d’initiative. Pourtant, jamais ni elle ni moi n’arrivâmes à
l’extase que j’avais connue pendant mon initiation. Je n’avais pas l’impression
de monter vers le ciel et j’étais toujours conscient de l’herbe mœlleuse sur
laquelle nous étions couchés. Cette union fut beaucoup moins mémorable, pour
moi, que la précédente, sans doute parce que Vi-rikôta et moi n’avions pas
droit au cactus à cinq côtes qui donne la vraie lumière divine.
Néanmoins, nous nous accordions si bien tous les deux que nous ne
cherchâmes pas d’autres partenaires pendant toute la durée des festivités. Nous
pratiquâmes le ma-rakame à plusieurs reprises et je la quittai à mon grand
regret uniquement parce que mon hôte, Tes-disora, insistait pour que j’assiste
à la grande course le ra-rajipuri, entre les meilleurs coureurs du village et
ceux de Guacho-chi.
« Où sont-ils ? demandai-je. Je n’ai vu arriver personne.
— Ils arriveront quand nous serons partis. Guacho-chi est loin
d’ici, vers le sud-est. »
La distance qu’il m’indiqua représentait quinze longues courses mexica
ou quinze lieues espagnoles. Sans compter qu’il s’agissait d’une distance en
ligne droite, alors qu’en réalité, dans un pays escarpé, les chemins suivent un
parcours tortueux à travers ravins et pentes. Je calculai donc que la longueur
réelle du trajet entre les deux villages devait approcher de cinquante lieues.
Pourtant, Tes-disora me dit d’un ton très naturel :
« Pour un bon coureur, pour faire l’aller et retour en frappant
dans la balle de bois, il faut une journée et une nuit.
— C’est impossible ! m’exclamai-je. C’est comme de courir de
Tenochtitlán à Queretaro sans s’arrêter. Sans compter que la moitié du parcours
se fait de nuit et, en plus, en poussant une balle. C’est
impossible ! »
Comme Tes-disora ignorait tout de Tenochtitlán et de Queretaro et de la
distance qui les séparait, il me répliqua avec un haussement d’épaules :
« Puisque vous croyez que c’est impossible, vous n’avez qu’à venir
avec nous, pour voir.
— Moi ? En tout cas, je suis absolument certain que c’est
impossible pour moi.
— Vous n’aurez qu’à nous accompagner un bout de chemin et ensuite
vous attendrez notre retour. Je vais vous prêter une paire de bonnes sandales
en peau d’ours. Puisque vous ne faites pas partie de l’équipe du village, ce ne
sera pas tricher.
— Tricher ? Vous voulez dire qu’il y a des règles à respecter
dans cette course ?
— Pas beaucoup, me répondit-il, très sérieusement. Les
participants doivent partir d’ici cet après-midi, au moment précis où
Grand-Père Feu touche le haut de la montagne qui est en face. Les gens de
Guacho-chi se servent d’un moyen identique pour déterminer l’instant du départ.
Alors, nous courons vers Guacho-chi et eux, courent vers Guagùey-bo. On se
croise à mi-parcours, on se salue et on s’envoie des insultes amicales. Quand
ceux de Guacho-chi arrivent dans notre village, nos femmes leur offrent des
rafraîchissements et essayent par tous les moyens de les retenir, comme leurs
femmes le font avec nous, mais je puis vous assurer qu’on ne les écoute pas.
Nous faisons immédiatement demi-tour pour repartir en courant vers notre
village où nous arrivons au moment où Grand-Père Feu touche à nouveau la
montagne, soit juste avant, soit juste après. Nous pouvons déterminer ainsi le
temps exact de la course ; les concurrents de Guacho-chi font la même
chose et nous envoyons des messagers pour échanger nos résultats et savoir qui
a gagné la course.
— J’espère que le vainqueur reçoit un prix digne de tant
d’efforts.
— Un prix ? Il n’y a pas de prix.
— Quoi ? Pas même un
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