Azteca
trophée à exhiber ? Pas d’autre
motivation que de revenir chez soi, vers sa femme ? Au nom de vos trois
dieux, pourquoi alors le faites-vous ?
— Parce que c’est ce que nous faisons le mieux, me répondit-il
avec un haussement d’épaules. »
Je n’insistai pas parce que je sais qu’il est inutile de discuter
raisonnablement avec des personnes déraisonnables. Pourtant, en y réfléchissant
bien, la réponse de Tes-disora n’était pas si insensée. Moi-même, que
répondrais-je si on me demandait pourquoi j’ai pratiqué toute ma vie l’art
d’écrire les mots ?
Seuls, six hommes, dont Tes-disora, estimés comme les meilleurs
coureurs du village, participaient réellement au ra-rajïpuri. Ils s’étaient
bourrés de jipuri avant de partir et emportaient chacun un peu d’eau et de la
farine de pinolli qu’ils pouvaient manger sans presque ralentir leur train. Ils
avaient également, accrochées à la ceinture de leur pagne, de petites courges
sèches contenant un caillou dont le tintement devait les empêcher de s’endormir
tout debout. Le reste de la troupe était composé de tous les mâles en bonne
santé, des adolescents aux hommes mûrs, qui étaient là pour soutenir le moral
des champions. Beaucoup d’entre eux étaient déjà partis depuis le matin ;
c’étaient des coureurs rapides sur de courtes distances, mais qui se
fatiguaient vite. Ils allaient se poster à intervalles le long du parcours et
quand un des champions arrivait à leur hauteur, ils faisaient un sprint avec
lui.
D’autres participants devaient porter de petits pots de braises
ardentes et des torches de pin pour éclairer les coureurs pendant la nuit.
D’autres encore avaient des réserves de jipuri séché, de pinolli et d’eau. Les
jeunes et les anciens ne portaient rien ; leur rôle consistait à hurler
sans cesse des encouragements à leur équipe. Tout le monde avait le visage, la
poitrine et le dos peints de points, de cercles et de spirales jaune vif. Pour
moi, je n’en avais que sur la figure car, contrairement aux autres, j’étais
autorisé à garder mon manteau.
Au moment où Grand-Père Feu s’apprêtait à toucher la montagne, en fin
d’après-midi, le si-riame apparut sur le seuil de sa maison, souriante, vêtue
de ses peaux de jaguar, tenant d’une main son bâton à pommeau d’argent et de
l’autre, une balle de bois peinte en jaune. Elle observait le soleil, tandis
que les coureurs et leurs supporters semblaient impatients de prendre le
départ. A l’instant où Tonatiuh se posa sur la montagne, elle lança la balle
dans les pieds des six participants. Une clameur s’éleva de la foule ; les
coureurs étaient partis et se la renvoyaient. Le reste du peloton suivait à
distance respectueuse. Le si-riame souriait toujours et je vis la petite
Vi-rikôta sautiller aussi gaiement qu’une flamme qui va s’éteindre.
Je m’attendais à être immédiatement distancé, mais j’aurais dû me
douter que les concurrents ne forceraient pas leur vitesse dès le début. Ils
prirent une allure modérée que j’arrivais à soutenir. Nous suivîmes d’abord la
rive du fleuve et derrière nous, les acclamations des femmes, des enfants et
des vieux s’éloignèrent tandis que les participants chargés de crier prenaient
le relais. La course se poursuivit dans le bas des gorges jusqu’à ce que la
pente devienne suffisamment douce pour qu’on puisse l’escalader facilement et
nous pénétrâmes dans la forêt.
Je suis fier de pouvoir dire que je les ai accompagnés pendant un bon
tiers du parcours. Sans doute grâce au jipuri car, jamais de ma vie, je n’ai
couru aussi vite que lorsque j’arrivais au niveau des sprinters de service qui
nous entraînaient. Nous croisâmes à plusieurs reprises les lièvres de l’équipe
adverse qui attendaient le passage de leurs champions. Ils nous traitèrent
joyeusement de « traînards », « d'estropiés » et autres
gentillesses. J’étais particulièrement visé, étant toujours en queue du
peloton.
Cette course à corps perdu parmi des forêts denses et des ravins semés
de pierres sur lesquelles je me tordais les chevilles était une expérience
nouvelle pour moi, mais je m’en sortis assez honorablement tant qu’il fit jour.
Quand le soir commença à tomber, je dus prendre ma topaze, ce qui m’obligea à
ralentir considérablement. Je vis ensuite briller devant moi les torches des
éclaireurs, mais bien sûr aucun ne m’attendit et je
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