Azteca
honneur d’être exécuté
par le Uey tlatoani, en personne.
Axayacatl ne montra ni hésitation ni embarras. D’une main aussi sûre
que celle d’un prêtre, il enfonça la pointe du couteau dans le côté gauche de
la poitrine de l’homme, juste sous le sein et entre deux côtes, puis il écarta
les bords de la blessure avec la lame, pour l’ouvrir encore davantage. De
l’autre main, il fouilla dans l’ouverture rouge et humide, saisit le cœur
intact et qui battait encore et l’arracha de son réseau de vaisseaux. Ce n’est
qu’à ce moment que l’homme poussa un gémissement – une sorte de sanglot
pleurnichard – qui fut son dernier cri.
Tandis que l’Orateur Vénéré élevait l’organe luisant, ruisselant et
sanguinolent, un prêtre tira une corde cachée quelque part, le voile tomba et
la foule poussa un ay-y-yo-o général d’admiration. Axayacatl se
retourna, leva le bras et écrasa le cœur de la victime sur la bouche sculptée
de Tonatiuh. Il malaxa et tritura le cœur jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une
infâme bouillie répandue sur la pierre. Des prêtres m’ont dit que celui qui a
fait don de lui-même, survit assez longtemps pour voir ce qui advient de son
cœur. Mais celui-ci n’avait pas dû voir grand-chose. Une fois que Axayacatl eut
terminé sa besogne, on ne voyait presque plus le sang et la chair écrasée, car
la face sculptée du soleil était peinte d’une couleur semblable.
« C’est du beau travail, dit le vieux à mon père. Il m’est souvent
arrivé de voir des cœurs battre si fort qu’ils s’échappaient des mains de
l’exécuteur, mais je crois que celui-ci était déjà endommagé. »
Le xochimiqui était maintenant immobile, seule sa peau tressaillait de
temps en temps comme l’échine d’un chien tourmenté par les mouches. Les prêtres
firent rouler, sans cérémonie, son cadavre qui dégringola de la plate-forme,
pendant qu’un second xochimiqui montait les marches. Axayacatl n’honora plus
aucun de ceux-ci et laissa officier les prêtres. Tandis que le défilé
continuait et que le cœur de chaque victime allait oindre la Pierre du Soleil,
j’examinais soigneusement l’énorme objet, afin de le décrire à mon ami Tlatli
qui avait commencé à apprendre son métier de sculpteur en taillant des petites
figurines dans des morceaux de bois.
Yyo Ayyo , mes révérends, si vous aviez
pu voir la Pierre du Soleil ! Vous semblez désapprouver cette cérémonie
consécratoire, mais si vous aviez vu cette pierre, vous diriez qu’elle valait
bien toutes les peines, les années et les vies humaines qu’elle avait coûtées.
Le fait d’avoir réussi à sculpter cette pierre était déjà une chose
incroyable, car c’était du basalte aussi dur que du granit. Au centre, il y
avait le visage de Tonatiuh, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte,
et de chaque côté de sa tête, des griffes saisissant les cœurs humains qui
étaient sa nourriture. Tout autour, étaient gravés les symboles des quatre ères
du monde qui ont précédé la nôtre puis, un cercle contenant les symboles des
vingt noms des jours et dans un autre cercle concentrique, ceux du jade et de
la turquoise, pierres très estimées entre toutes, dans nos contrées. Puis un
autre cercle, encore, décrivait les rayons du soleil et les étoiles de la nuit,
parachevant le tout, deux figures du Serpent de Feu du Temps Xiuhcôatl, la
queue dirigée vers le haut de la pierre, leurs corps en faisant le tour et
leurs têtes se rejoignant dans le bas. L’artiste avait su résumer l’univers et
le temps tout entiers, sur une seule pierre.
Elle était peinte de couleurs vives, méticuleusement appliquées.
Cependant, l’art du peintre était bien plus évident là où il n’y avait pas de
couleur. Le basalte contient des parcelles de mica, de feldspath et de quartz.
L’artiste avait laissé tels quels les endroits où apparaissaient ces cristaux.
Aussi, comme la Pierre du Soleil se trouvait sous l’éclat de Tonatiuh lui-même,
ces minuscules joyaux scintillaient comme des rayons de soleil, au milieu des
couleurs éclatantes. La statue tout entière semblait moins peinte qu’éclairée
de l’intérieur. Je pense qu’il faudrait l’avoir vue dans toute sa première
splendeur pour le croire ou peut-être l’avoir admirée avec la vision claire que
j’avais en ce temps-là ou encore avec la mentalité d’un petit païen ignorant et
impressionnable…
Quoi qu’il en
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