Azteca
Miroir Fumant, le soleil était le dieu principal de la nation
voisine des Acolhua et j’en suis venu à penser qu’un nombre incalculable de
pays que j’ignore – même des pays situés de l’autre côté de la mer d’où vous
venez, vous autres les Espagnols – doivent pareillement adorer ce dieu-soleil,
sous des noms différents, selon qu’ils le voient sourire ou grimacer.
Pendant qu’Axayacatl poursuivait son discours, que les prêtres
continuaient à chanter en contrepoint et que les musiciens se mettaient à jouer
sur des flûtes, des os percés ou des tambours de peau, mon père et moi
écoutions notre guide au teint cacao nous raconter l’histoire de la Pierre du
Soleil.
Au sud-est de notre ville, se situe le pays des Chalca. Lorsque le
défunt Motecuzoma en fit son vassal, il y a vingt-deux ans, les Chalca durent
offrir un tribut d’importance aux Mexica victorieux. Deux jeunes frères Chalca se
proposèrent pour exécuter chacun une sculpture monumentale qui devait être
installée ici, au Cœur du Monde Unique. Ils choisirent des pierres semblables,
mais des sujets différents et ils se mirent au travail, chacun de leur côté et
aucun d’eux ne voyant ce que faisait l’autre.
« Leurs femmes avaient bien dû jeter un coup d’œil, dit mon père,
qui avait une femme à faire cela.
— Personne ne vit jamais ce qu’ils faisaient, répéta le vieux, –
pendant ces vingt-deux années qu’ils travaillèrent à sculpter et à peindre
leurs statues – et pendant ce temps ils se firent vieux et Motecuzoma passa
dans l’autre monde. Enfin, ils entourèrent leurs œuvres terminées dans des
nattes et le seigneur des Chalca embaucha un millier de solides porteurs pour
les tirer jusqu’à la capitale. »
Il indiqua l’objet encore enveloppé sur la plate-forme.
« Comme vous le voyez, la Pierre du Soleil est gigantesque :
plus de deux fois la hauteur d’un homme et elle est extrêmement lourde :
le poids de trois cent vingt hommes. L’autre pierre était à peu près semblable.
On les fit glisser sur des planches rudimentaires, on les roula sur de grosses
billes de bois, on les tira sur des patins, on leur fit traverser la rivière
sur d’énormes radeaux. Imaginez le labeur, la sueur, les os brisés et tous les
hommes mourant quand ils n’en pouvaient plus de tirer et de recevoir des coups
de fouet du contremaître.
— Où est l’autre pierre », demandai-je. Mais on m’ignora.
« Ils arrivèrent enfin sur les lacs Chalco et Xochimilco et les
traversèrent sur des radeaux, jusqu’à la digue principale qui est au nord de
Tenochtitlân. A partir de là, la route était large et droite et il n’y avait
pas plus de deux longues courses jusqu’à la place. Les artistes poussèrent un
soupir de soulagement. Ils avaient travaillé dur ainsi que tant d’autres, mais,
enfin, les monuments allaient arriver à destination. »
Soudain, une rumeur s’éleva de la foule. Les quelque vingt hommes dont
le sang allait être offert à la Pierre du Soleil, venaient de s’aligner et le
premier était en train de gravir les marches de la pyramide. Il ne semblait pas
être prisonnier de guerre, mais un homme robuste qui avait à peu près l’âge de
mon père ; il n’était vêtu que d’un pagne et avait l’air malheureux et
hagard, mais il avançait de son plein gré et sans que les gardes le poussent.
Une fois sur la plate-forme, il se mit à regarder la foule attentivement,
tandis que les prêtres balançaient leurs encensoirs fumants et accomplissaient
des gestes rituels avec leurs mains et leurs bâtons. Puis un des prêtres fit
délicatement tourner le xochimiqui et l’aida à s’appuyer sur une pierre devant
le monument voilé. Le bloc de pierre lui arrivait au genou et l’homme était
arc-bouté dessus, si bien que sa poitrine avait l’air impatiente de s’offrir à
la lame.
Il était tout entier exposé aux regards ; quatre prêtres lui
maintenaient les bras et les jambes et derrière eux, se tenait le grand prêtre,
l’exécuteur, qui brandissait un grand couteau noir en obsidienne, en forme de
truelle. Avant que le prêtre ait pu faire un geste, l’homme ligoté releva la
tête penchée et dit quelque chose. Ceux qui étaient sur la plate-forme
prononcèrent aussi quelques paroles, puis le prêtre tendit son couteau à
Axayacatl. La foule manifesta sa surprise et son étonnement. Pour une raison
quelconque, cette victime particulière aurait l’insigne
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