Azteca
détails
des emblèmes sur les étendards de plume de Tenochtitlân et les enchevêtrements
gravés sur la Pierre du Soleil. Moins de cinq ans après ce septième
anniversaire, j’étais devenu incapable de localiser Après la Floraison, dans le
ciel. Metztli, la lune à l’époque de son plein éclat, n’était plus qu’une tache
informe, d’un blanc jaunâtre, dont la circonférence, autrefois si nette pour
moi, tremblotait indistinctement dans le ciel.
Bref, à partir de l’âge de sept ans, je commençai à perdre la vue. Cela
fit de moi une sorte de phénomène dont le sort n’était guère enviable. Excepté
les aveugles de naissance ou ceux qui le deviennent à la suite d’un accident ou
d’une maladie, chez nous, presque tout le monde possède la vision perçante de
l’aigle ou du vautour. Mon entourage ignorait pratiquement cet état car, en
ayant honte, je n’en parlais point et tâchais de garder pour moi ce douloureux
secret. Quand on me montrait quelque chose en disant, « Regarde », je
m’écriais, « Ah, oui ! » sans savoir ce que je devais faire.
Cette infirmité ne vint pas tout d’un coup ; elle fut progressive,
mais inexorable. Quand j’eus neuf ou dix ans, je pouvais voir aussi clairement
que tout le monde, mais pas plus loin qu’à deux longueurs de bras. Au-delà de
cette distance, les choses commençaient à se brouiller, comme si je les voyais
à travers une pellicule d’eau transparente, mais déformante. De plus loin,
comme, par exemple, quand on regarde un paysage du haut d’une colline, les
contours de chaque chose devenaient si flous que tout se chevauchait et se
confondait et que pour moi, un paysage se mettait à ressembler à une couverture
rapiécée avec des morceaux de couleurs informes. Mais du moins, dans ce
temps-là, je pouvais me déplacer sans me cogner partout. Quand on me demandait
d’aller chercher un objet dans une pièce, j’arrivais à le trouver sans
tâtonner.
Mais mon champ de vision continua à se rétrécir jusqu’à une seule
longueur de bras et, avant d’atteindre treize ans, je ne parvenais plus à jouer
assez bien le jeu pour qu’on ne le remarquât point. Au début, mes parents et
mes amis durent penser que j’étais simplement étourdi ou maladroit, ou même
tout bonnement stupide, car avec la sotte vanité de l’adolescence, je préférais
passer pour un imbécile que pour un infirme. Mais il devint vite évident pour
tout le monde que le plus précieux de nos cinq sens me faisait défaut. Mon
entourage adopta des attitudes diverses devant la tare soudain mise au grand
jour.
Ma mère rejeta la faute sur la famille de mon père. Il y avait eu,
paraît-il, un oncle qui, après s’être enivré avec de l’octli, avait cherché à
se procurer un supplément de ce liquide blanc. Il l’avait avalé sans
s’apercevoir qu’il s’agissait de ce xocoyatl très caustique utilisé pour
nettoyer et blanchir du calcaire très noirci. Il survécut et ne but plus
jamais, mais il en resta aveugle pour le restant de ses jours et d’après ma
mère j’avais hérité de cette fatale succession.
Mon père ne blâma personne et ne fit aucune supposition, mais il me
consola avec un peu trop d’enjouement. « Allons, Mixtli, le métier de
carrier est un travail de précision, tu n’auras aucun mal à détecter des fentes
et des fissures de l’épaisseur d’un fil. »
Les enfants de mon âge, qui sont comme des scorpions qui piquent sans
pitié, me criaient : « Regarde ça ! »
Je louchais en disant : « Ah, oui, je vois. – C’est vraiment
intéressant à voir, pas vrai ? » Je louchais encore plus
désespérément et insistais « Ah, oui alors ! »
Alors, ils éclataient de rire et glapissaient : « Il n’y a
absolument rien, Tozani ! »
D’autres comme Chimali et Tlatli, mes amis intimes, faisaient parfois
des gaffes. « Regarde », me disaient-ils et ils se dépêchaient
d’ajouter : « Il y a un messager qui arrive en courant vers le palais
du Seigneur Héron Rouge ; il porte le manteau vert de la bonne nouvelle.
On a dû gagner une bataille. »
Ma sœur Tzitzitlini parlait peu, mais elle s’arrangeait toujours pour
m’accompagner si je devais aller dans des endroits éloignés ou inconnus. Elle
me prenait par la main, comme le ferait une grande sœur affectueuse et sans en
avoir l’air, elle m’aidait à éviter les obstacles que je ne percevais pas tout
de suite.
Mais les autres enfants
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