Azteca
plus
d’un an et demi.
Nous supplions Votre Majesté d’excuser la brièveté, l’amertume et la
brusquerie de cette missive. Notre contrariété est trop forte pour le moment
pour que nous puissions écrire plus longuement et sur le ton de la dignité
compatible avec notre Saint Office.
Que la bonté et la vertu qui émanent de Votre Radieuse Majesté
continuent à éclairer le monde, tel est le vœu du dévoué (et confus) chapelain
de Votre Majesté,
( ecce signum )
Zumarraga
UNDECIMA PARS
Ayyo ! Après
une aussi longue absence, voici Votre Excellence revenue parmi nous. Je crois
en deviner la raison. C’est parce que je vais parler de ces dieux nouveaux
venus et les dieux intéressent toujours un homme d’église. Votre présence nous
honore, Seigneur Evêque, aussi, pour ne pas abuser de votre temps précieux, je
vais me hâter d’en venir à cette confrontation. Je ferai seulement une petite
digression pour vous parler d’une rencontre que je fis en chemin avec un être
de moindre importance, car elle se révéla par la suite particulièrement
significative.
Je quittai Tenochtitlán un jour seulement après y être arrivé et
j’effectuai ce départ en grand style. L’inquiétante étoile fumante ne se voyant
pas dans la journée, les rues grouillaient de monde et un public nombreux
assista à la parade. Je portais mon casqué au bec féroce et mon armure emplumée
de Chevalier-Aigle et je tenais contre moi mon bouclier avec les symboles de
mon nom. Cependant, dès que j’eus franchi la chaussée, je confiai tout cela à
l’esclave chargé de porter mon étendard et mes autres insignes. J’enfilai des
vêtements plus commodes pour voyager et je ne me parais plus de mes beaux
atours que lorsque nous arrivions dans une localité importante où je voulais
impressionner le chef par mon rang.
Le Uey tlatoani avait mis à ma disposition une litière dorée et ornée
de pierreries où je montais quand j’étais fatigué de marcher et une autre
litière remplie de présents pour le chef Xiu Ah Tutal ainsi que d’autres
cadeaux que je devrais remettre aux dieux, s’ils s’avéraient en être et s’ils
ne méprisaient pas nos offrandes. Outre les porteurs de litière et les hommes
qui convoyaient les provisions de route, j’étais accompagné d’une escorte
recrutée parmi les gardes du palais les plus solides et les plus imposants,
tous formidablement armés et somptueusement vêtus.
Inutile de vous dire que pas un seul malfaiteur n’osa s’attaquer à
notre convoi. Inutile aussi de décrire la façon dont nous fûmes reçus à chaque
halte. Je ne raconterai que notre passage à Coatzacoalcos, ville-marché sur la
côte nord de l’étroite bande de terre qui sépare les deux grands océans.
J’y arrivai avec toute mon escorte le soir d’un jour de marché
particulièrement animé, aussi je ne cherchai pas à pénétrer dans le centre de
la ville pour trouver un logement digne des visiteurs de marque que nous
étions. Nous installâmes simplement notre campement dans un champ à l’extérieur
de la cité où d’autres caravanes s’étaient également arrêtées. La plus proche
de nous était celle d’un marchand d’esclaves qui venait vendre à ce marché une
quantité considérable d’hommes, de femmes et d’enfants. Après le dîner, j’allai
faire un tour de leur côté avec le vague espoir d’y trouver un remplaçant pour
Chanteur Etoile en pensant que je ferais une bonne affaire si je pouvais
l’acheter avant les enchères du lendemain.
Le pochtecatl m’apprit qu’il avait acheté son troupeau humain dans
l’intérieur de la région olmeca chez les Coatlicamac et les Cupilco. Les
pauvres diables marchaient, dormaient et mangeaient attachés les uns aux autres
par une longue corde enfilée dans la cloison nasale de chacun d’eux. On
libérait les femmes et les enfants pour qu’ils installent le camp, pour qu’ils
fassent le feu et la cuisine et pour qu’ils aillent chercher l’eau et le bois.
Tandis que je me promenais en regardant distraitement la marchandise, une jeune
fille qui portait une jarre s’approcha timidement de moi et me demanda d’une
voix douce :
« Le Seigneur Chevalier aimerait-il boire un peu d’eau
fraîche ? Au bout du champ, il y a une rivière qui se jette dans la mer et
j’ai puisé cette eau il y a assez longtemps pour que toutes les impuretés aient
eu le temps de se déposer. »
Tout en buvant, je l’examinai.
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