Azteca
dis durement :
« Cette fois tu l’as fait exprès. Tu as voulu me tromper.
— Je pensais… je croyais que ça t’aurait fait plaisir, fit-elle
d’une voix tremblante, en continuant de s’éloigner de moi.
— Je m’étais dit que si ta femme était comme celle que tu avais
aimée…» Sa voix n’était plus qu’un murmure. « Tu sais bien, Zaa, que la
seule différence visible entre nous, c’est cette mèche.
— La seule différence ! grondai-je.
— Hier soir, après que le messager fut venu m’avertir de ton
arrivée, j’ai préparé du lait de chaux et je me suis décolorée une mèche. Je
pensais qu’ainsi tu voudrais bien de moi, au moins pour un moment.
— J’ai failli en mourir, grinçai-je. D’ailleurs, j’en aurais été
bien content. Je te jure que c’est la dernière fois que tu me joues tes
perfides tours. C’en est fini de tes manigances et de tes sorcelleries. »
J’avais pris les lanières de mon sac dans la main droite et avec la
gauche, je la saisis par le poignet et la fis rouler à terre.
« Zaa, cria-t-elle, désespérée. Toi aussi tu as du blanc dans tes
cheveux maintenant ! »
Des voisins s’étaient assemblés dans la rue. Ils avaient souri en
voyant ma femme accourir au-devant d’un mari prodigue, mais leur sourire se
figea quand je commençai à la battre. Je crois bien que je l’aurais tuée si
j’en avais eu la force. Mais j’étais fatigué, comme elle me l’avait fait
remarquer et je n’étais plus jeune, non plus, comme elle l’avait également
souligné. Néanmoins, le cuir lacéra ses légers vêtements qui se déchirèrent et
découvrirent sa nudité. Son corps, couleur de miel, qui aurait pu être le corps
de Zyanya, se couvrit de marbrures rouges, mais les coups que je lui donnais
n’étaient pas assez violents pour faire jaillir le sang. Elle s’évanouit sous
le coup de la douleur et je l’abandonnai là, exposée à tous les regards. Je
montai l’escalier en chancelant pour entrer dans la maison, plus qu’à moitié
mort.
La vieille Turquoise – elle était vieille maintenant – s’écarta
craintivement sur mon passage. Je n’avais plus de voix et je lui fis comprendre
par gestes d’aller s’occuper de sa maîtresse. Je parvins, je ne sais comment, à
monter au premier étage. On avait préparé une seule chambre. En jurant, je
passai dans l’autre pièce et, avec beaucoup de difficulté, je déroulai les
couvertures qu’on avait rangées là puis je m’y laissai tomber, sans forces. Je
sombrai dans le sommeil, comme je sombrerai un jour dans les bras de la mort et
dans ceux de Zyanya.
Je dormis jusqu’au lendemain midi et Turquoise attendait anxieusement
mon réveil devant la porte. L’autre chambre était fermée et aucun son n’en
sortait. Je ne lui demandai pas des nouvelles de Béu et lui donnai l’ordre de
me préparer un bain, de chauffer les pierres de l’étuve, de me sortir des
vêtements propres et de me faire à manger en grande quantité. Quand j’eus bien
transpiré et bien trempé, je m’habillai et descendis pour dévorer à moi tout
seul la ration de trois hommes.
Tandis que la servante m’apportait le second plat et le troisième pot
de chocolat, je lui dis :
« Il va me falloir ma tenue, mon armure et tous mes accessoires de
Chevalier-Aigle. Quand tu auras fini de me servir mon repas, tu les sortiras
pour les aérer et tu lisseras bien les plumes. Pour l’instant, va me chercher
Chanteur Etoile.
— Maître, j’ai le regret de vous apprendre que Chanteur Etoile est
mort d’un coup de froid l’hiver dernier.
— Alors, c’est toi qui iras, Turquoise, répondis-je, fort peiné de
cette nouvelle. Avant de t’occuper de mon uniforme, il faut que tu ailles au palais…
— Moi, maître ? Au palais ? Jamais les gardes ne me
laisseront approcher.
— Dis-leur que tu viens de ma part et ils te feront entrer,
m’impatientai-je. Tu devras délivrer mon message au Uey tlatoani et à lui seul.
— Au Uey… !
— Silence, femme ! Voici ce que tu vas lui dire. Retiens-le
bien : « L’émissaire de l’Orateur Vénéré n’est plus fatigué… Nuage
Noir est prêt à partir en mission dès que l’escorte sera formée. « »
Et, sans même avoir revu Lune en Attente, je me mis en route pour aller
rendre visite aux dieux en attente.
I H S
A.I.M.C.
A Son Auguste et Impériale Majesté Catholique, L’Empereur Charles
Quint, Notre Roi :
Très Haute Majesté,
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