Azteca
et j’avais brûlé de tenter ma chance dans la plus
grande de toutes les cités. Mais, il y avait tant de détermination et de dureté
dans la manière que Ce-Malinali avait de se faire valoir qu’elle me rebutait.
« On dirait que tu as une très haute opinion de toi-même et que tu
estimes bien peu les hommes, ma fille.
— Les hommes utilisent bien les femmes pour leur plaisir. Pourquoi
donc les femmes ne se serviraient-elles pas des hommes pour arriver à leurs
fins ? Bien que je n’aime pas faire l’amour, je sais faire semblant et
bien que je n’aie pas une grande expérience dans ce domaine, je me débrouille
assez bien. Si ce talent peut m’aider à me sortir de mon état d’esclave… eh
bien… j’ai entendu dire que la concubine d’un grand seigneur avait plus de
privilèges et plus de pouvoir que sa première femme légitime. Même l’Orateur
Vénéré des Mexica a des concubines, pas vrai ?
— Petite drôlesse ! Je vois que tu as en effet beaucoup
d’ambition, lui répondis-je en riant.
— Je sais que j’ai davantage à offrir qu’un simple trou entre mes
jambes, persifla-t-elle. Pour ça, il suffit d’acheter une chienne techichi.
— Apprends, ma fille, lui répondis-je en dégageant mon bras, qu’un
chien peut être également un compagnon affectueux. Je ne vois aucune
disposition à l’affection chez toi. Un techichi peut aussi faire un bon repas
et toi, tu n’es ni assez propre, ni assez appétissante pour qu’on te mange. Tu
es intelligente pour ton âge, surtout si l’on tient compte de tes origines,
mais tu n’es qu’une sale gamine qui n’a rien d’autre à offrir que ses
prétentions, sa vanité et sa cupidité. Tu as reconnu que tu ne tirais aucun
plaisir à te servir de ce trou dont tu tires tant de fierté et qui est ta seule
richesse. Si tu penses valoir plus que tes sœurs esclaves, tu te fais des
idées.
— Je vais aller à la rivière pour me laver et me rendre
appétissante, ragea-t-elle. Si j’étais bien habillée, je passerais pour une
belle dame. Je sais feindre l’affection et faire croire qu’elle est sincère.
Quelle est la femme qui a agi autrement avec vous, Seigneur, quand elle voulait
être autre chose qu’un réceptacle pour votre tepuli ? »
J’avais fort envie de la punir de son impertinence, mais elle était
trop grande pour être fessée comme une enfant et trop jeune pour être fouettée
comme une adulte. Je me contentai de la prendre par les épaules en la serrant
suffisamment fort pour lui faire mal.
« C’est vrai, j’ai rencontré des femmes comme toi, vénales et
perfides, mais j’en ai connu d’autres qui ne l’étaient pas. Ma fille, qui
portait le même nom que toi, par exemple. Pourquoi est-elle morte, alors que
toi tu vis ? » éclatai-je, incapable de réprimer ma colère. Je la
secouai si violemment qu’elle laissa tomber la cruche d’eau qui se brisa, mais je
ne prêtai pas attention à ce signe de mauvais augure. Je criai si fort que tout
le monde se tourna vers nous et le marchand d’esclaves vint me supplier de ne
pas endommager son bien. Je crois que pour un instant, je reçus un don de
double vue qui me fit entrevoir l’avenir, car voici ce que je lui ai dit :
« Tu couvriras ton nom de honte et de boue et tout le monde
crachera de dégoût en le prononçant. »
Je note que Votre Excellence s’impatiente au récit de cette rencontre.
Ce fut pourtant un incident très révélateur. Qui était cette fille ? Que
devint-elle par la suite et quel fut le résultat de ses ambitions
précoces ? Toutes ces choses sont de la plus grande importance. Sans elle,
Votre Excellence ne serait peut-être pas notre estimé évêque de Mexico.
Quant à moi, j’oubliai bien vite cette fille et je m’endormis ce
soir-là sous la funeste étoile fumante accrochée dans le ciel sombre. Le
lendemain, je quittai Coatzacoalcos avec mon escorte et en suivant la côte, je
traversai les villes de Xicalango et de Kimpéch pour arriver enfin dans ce lieu
où m’attendaient les dieux présumés, à Tihô, capitale des Xiu, située à
l’extrême nord de la péninsule d’Uluumil Kutz. J’avais revêtu pour la
circonstance mon grand uniforme de Chevalier-Aigle et nous fûmes accueillis à
l’entrée de la ville par la garde personnelle du chef Xiu Ah Tutal. Nous fûmes
conduits en cortège solennel jusqu’au palais, par les rues de la cité toute
blanche. En fait, ce n’était pas un palais. Il ne faut pas
Weitere Kostenlose Bücher