Azteca
faire
grand-chose pour améliorer leurs dents moussues et leur haleine fétide. Après
avoir jeté au feu leurs vêtements infestés de vermine, on leur donna des
manteaux propres et les gardes les emmenèrent dans le coin de la cour où Ah
Tutal et moi étions assis sur des chaises basses, en les faisant s’asseoir par
terre devant nous. Ah Tutal avait eu la bonne idée de faire préparer un de ces
pots à fumer perforés rempli du meilleur picietl et d’herbes aromatiques. Il
enflamma le mélange et, plongeant nos roseaux dans les trous, nous exhalâmes
des nuages de fumée qui faisaient un écran olfactif entre nos hôtes et nous.
Comme je les voyais trembler, je pensais qu’ils n’étaient pas encore secs ou
qu’ils ne s’étaient pas encore remis d’être devenus propres. J’appris par la
suite qu’ils avaient été terrifiés de voir pour la première fois « des hommes
qui respiraient du feu ».
Quoi qu’il en soit, si nous ne leur plaisions pas, ils ne nous
plaisaient pas non plus. Ils étaient encore plus pâles d’avoir perdu les
nombreuses couches de saleté accumulée depuis si longtemps, et la peau qu’on
entrevoyait sous leur barbe n’était pas lisse comme la nôtre. L’un d’eux avait
la figure toute trouée comme un morceau de pierre volcanique et l’autre était
couvert de boutons et de pustules infectées. Lorsque je sus manier assez bien
leur langue pour leur poser délicatement une question à ce sujet, ils
haussèrent les épaules en me disant que chez eux, presque tout le monde, hommes
et femmes, était touché, un jour ou l’autre, par la « petite
vérole ». Quelques-uns en mouraient, mais la plupart n’en gardaient qu’un
visage défiguré et comme c’était le lot commun de la majorité, personne ne
pensait que la beauté pût en souffrir. C’est bien possible, mais moi, je
trouvais que c’était une horrible mutilation. C’était du moins mon sentiment à
l’époque. Maintenant que tant de mes compatriotes ont aussi la figure trouée
comme de la pierre volcanique, j’essaye de ne pas faire la grimace en les
regardant.
Je commençai à apprendre la langue de ces étrangers en leur montrant
les objets qui nous entouraient pour qu’ils me disent le nom qu’ils leur
donnaient. Notre premier entretien se poursuivit fort tard dans la nuit
jusqu’au moment où ils commencèrent à somnoler. Je pensai que le bain, le
premier de leur vie, peut-être, les avait fatigués et je les laissai regagner
leur chambre. Le lendemain, j’allai les tirer du lit de bonne heure et après
les avoir renifles, je leur donnai à choisir entre se laver eux-mêmes ou être
étrillés de force. Bien qu’ils parussent stupéfaits et choqués de devoir subir
une pareille épreuve deux fois de suite, ils se résignèrent à le faire. Par la
suite, ils se lavèrent tous les matins assez correctement pour que je puisse
passer la journée en leur compagnie sans trop souffrir. Nos séances duraient du
matin au soir et, même pendant les repas, nous échangions les mots concernant
les plats que nous apportaient les domestiques du palais. A ce propos, je dois
signaler qu’ils se mirent à manger de la viande lorsque je fus à même de
pouvoir leur expliquer de quel animal elle provenait.
De temps à autre, pour remercier mes instructeurs de leur coopération,
ou pour les soutenir quand ils étaient fatigués ou chagrins, je les régalais
d’un peu d’octli. Parmi les « présents pour les dieux » dont m’avait
chargé Motecuzoma figuraient plusieurs jarres du meilleur octli et c’est bien
le seul cadeau que je leur aie jamais remis. La première fois qu’ils y
goûtèrent, ils firent la grimace en disant : « Bière amère. »
Cependant ils eurent tôt fait de s’y habituer et un soir que je leur en avais
laissé boire à leur aise pour faire une expérience, je fus heureux de constater
qu’ils étaient capables de se soûler tout aussi bien que nous.
A mesure que les jours passaient, mon vocabulaire s’enrichissait et
j’appris beaucoup de choses dont la plus importante fut qu’ils étaient des
hommes et non des dieux, des hommes tout à fait ordinaires en dépit de leur
aspect inusité. Ils ne prétendaient être ni des dieux, ni des êtres surnaturels
venus préparer la venue de maîtres divins. Ils furent sincèrement interloqués
et un tantinet choqués quand je leur appris que les gens de notre peuple
s’attendaient à ce que les dieux reviennent un jour dans le
Weitere Kostenlose Bücher