Azteca
dans les mains du
médecin en lui disant :
« C’est une nourriture divine, une nourriture magique. Elle
s’avale facilement ; vous pouvez la lui mettre de force dans la bouche
sans qu’elle risque de s’étouffer. »
Et le médecin partit en courant aussi vite que sa dignité le lui
permettait…
Exactement comme vient de le faire Son Excellence.
« Excusez-moi d’avoir pris les choses en main, dis-je à Aguilar en
lui tapant amicalement sur l’épaule. Si la fille guérit, tout le mérite vous en
reviendra et vous en tirerez une grande considération. Et maintenant, allons
chercher Guerrero et parlons un peu de votre pays. »
J’avais encore de nombreuses choses à demander à Jerônimo de Aguilar et
à Gonzalo Guerrero et maintenant que nous arrivions à nous comprendre assez
bien, ils étaient curieux, eux aussi, de savoir ce qui se passait chez nous.
Ils me posaient parfois des questions que je faisais semblant de ne pas comprendre :
« Qui est votre roi ? », « A-t-il une armée
puissante ? », « Possède-t-il beaucoup d’or ? » Il
arrivait aussi que je ne les comprenne réellement pas, par exemple, quand ils
me disaient : « Qui sont vos ducs, vos comtes, vos marquis ? Qui
est le pape de votre Eglise ? » Quant à certaines de leurs questions,
personne, je crois, n’aurait pu y répondre : « Pourquoi vos femmes
n’ont-elles pas de poils ? » Je les éludais alors en leur en posant
d’autres et ils y répondaient sans hésitation et sans fourberie apparente.
Je serais bien resté avec eux pendant une bonne année pour améliorer ma
connaissance de leur langue et pour leur poser des questions toujours
nouvelles, mais je pris la décision de les quitter rapidement quand, deux ou
trois jours après notre visite à la jeune malade, le médecin vint me chercher
et me fit signe silencieusement de le suivre. En arrivant dans la hutte, je vis
que la jeune fille était morte ; elle était complètement défigurée et son
visage avait pris une horrible teinte pourpre.
« Les vaisseaux ont éclaté et les tissus se sont gonflés, me dit
le médecin. Y compris dans le nez et la bouche. Elle a agonisé en cherchant à
respirer. Cette nourriture divine que vous m’avez donnée n’est pas magique du
tout, ajouta-t-il sur un ton méprisant.
— Combien avez-vous guéri de malades sans avoir recours à cette
magie ?
— Aucun, soupira-t-il en perdant de sa superbe. Ni moi ni mes
collègues. Certains malades sont morts d’étouffement, comme cette fille.
D’autres ont rejeté un flot de sang par le nez et par la bouche et d’autres ont
été la proie d’un délire frénétique. Je crains qu’ils ne meurent tous, et d’une
mort bien atroce.
— Cette fille m’avait dit que seule une femelle de vautour
pourrait prendre du plaisir avec ces hommes blancs, fis-je en contemplant cette
chose qui avait été une belle enfant. Elle avait dû avoir un pressentiment.
Maintenant, les vautours seraient ravis de se repaître de son cadavre et sa
mort est, en quelque sorte, la faute de ces Blancs. »
Je retournai ensuite au palais pour rendre compte des événements à Ah
Tutal et il me dit d’un air résolu :
« Je ne veux plus de ces étrangers malpropres ici ! » Je
ne saurais dire si ses yeux louches me regardaient ou non, mais il était
indéniable qu’ils étaient pleins de colère. « Est-ce que je les laisse
repartir dans leur canot ou bien est-ce que vous les emmenez à
Tenochtitlán ?
— Ni l’un ni l’autre. Et ne les tuez pas non plus, Seigneur Mère,
à moins que Motecuzoma ne vous en donne la permission. J’ai une idée. Je vous
conseille de vous en débarrasser en les offrant comme esclaves. Donnez-les à
des chefs de tribus éloignées ; ils seront très flattés de recevoir un tel
cadeau. L’Orateur Vénéré des Mexica, lui-même, ne possède pas d’esclaves
blancs.
— Heu… oui, fit Ah Tutal d’un air pensif. Il y a en effet deux
chefs dont je me méfie et que je n’aime pas du tout. Je ne serais pas fâché que
ces Blancs leur causent des ennuis. » Il me considéra avec plus de
bienveillance. « Mais voyons, Seigneur Ek Muyal, Motecuzoma vous a envoyé
jusqu’ici pour ces étrangers, que va-t-il dire si vous revenez les mains
vides ?
— Elles ne sont pas vraiment vides. Je lui ramène la boîte de
nourriture divine, les petites prières bleues et j’ai beaucoup de chose à lui
raconter. » Je fus frappé d’une idée
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