Azteca
Monde Unique. Ils
m’affirmèrent alors avec beaucoup d’autorité qu’aucun dieu n’avait mis les
pieds sur la terre depuis plus de mille cinq cents ans et d’après eux, il
s’agissait d’un dieu unique. Eux-mêmes n’étaient que de simples mortels,
adeptes dévoués de ce dieu dans ce monde et dans l’autre. Sur terre, ils
étaient les sujets fidèles d’un roi qui était un homme bien sûr, mais un homme
hors du commun, l’équivalent, pensai-je, de notre Orateur Vénéré.
Cependant, comme je vous l’expliquerai plus tard, Excellence, tout le
monde chez nous n’était pas disposé à croire que ces étrangers n’étaient que
des hommes comme ils le prétendaient. Pour ma part, dès le début, je n’en ai
jamais douté et il s’avéra que j’avais raison. C’est pourquoi, Excellence, je
ne vais plus désormais les qualifier d’étrangers ou de créatures mystérieuses,
mais tout simplement d’hommes.
Celui qui était couvert de boutons et de pustules s’appelait Gonzalo
Guerrero et il était charpentier de son état. Son compagnon à la figure trouée
se nommait Jerônimo de Aguilar et c’était un scribe professionnel, comme vous,
mes révérends. Il est possible que l’un de vous l’ait connu jadis, car son ambition
première avait été de devenir prêtre de son dieu et il avait fréquenté pendant
quelque temps un calmecac ou ce qui est chez vous une école de prêtres.
Ils me dirent qu’ils venaient d’un pays situé à l’est, très loin sur
l’océan. Je m’en étais bien douté et je ne fus pas très avancé quand ils
m’eurent appris que ce pays s’appelait Cuba et que c’était une des nombreuses
colonies d’une nation beaucoup plus grande, loin, très loin à l’est, qu’ils
nommaient Espagne ou Castille. C’est de là, ajoutèrent-ils, que leur roi
gouvernait toutes ses possessions. Ils me dirent aussi qu’en Espagne ou
Castille, tout le monde avait la peau blanche, sauf quelques inférieurs, les
Maures, qui étaient complètement noirs. A première vue, cette déclaration me
sembla si incroyable que je me mis à douter de tout ce qu’ils m’avaient raconté
jusque-là, mais je pensai ensuite que puisque chez nous les monstres étaient
blancs, ils pouvaient bien être noirs dans un pays de blancs.
Aguilar et Guerrero m’expliquèrent qu’ils avaient échoué sur nos côtes
tout à fait par hasard. Ils avaient quitté Cuba en compagnie de plusieurs
centaines d’hommes et de femmes sur douze grandes maisons flottantes qu’ils
appelèrent navires, commandés par un certain capitaine Diego de Nicuesa qui
avait été nommé gouverneur d’un endroit nommé Castilla de Oro, très loin à
l’est de chez nous. Mais la malchance avait accablé cette expédition et ils en
rendaient responsable la funeste « étoile chevelue ».
Une terrible tempête avait dispersé les bâtiments et leur navire avait
sombré après s’être fracassé sur des rochers. Seuls Aguilar, Guerrero et deux
autres avaient pu fuir le vaisseau naufragé dans un canot placé sur le pont en
prévision de ce genre d’accident et ils avaient été fort surpris de se voir
rejetés sur une plage très peu de temps après. Leurs deux compagnons s’étaient
noyés dans les puissantes vagues déferlantes et ils seraient certainement morts
eux aussi si des « hommes rouges » n’étaient pas venus leur porter
secours.
Aguilar et Guerrero m’exprimèrent leur gratitude d’avoir été sauvés,
accueillis et nourris avec tant d’hospitalité. Mais ils seraient encore plus
reconnaissants, me dirent-ils, si les hommes rouges voulaient bien les ramener
à leur canot. Guerrero, qui était charpentier, était certain d’être capable de
le réparer et de fabriquer des rames pour le faire avancer et ni l’un ni
l’autre ne doutait de pouvoir retrouver Cuba en prenant la direction de l’est,
si leur dieu leur accordait un temps favorable.
« Dois-je les laisser partir ? me demanda Ah Tutal à qui je
rendais compte de nos entrevues quotidiennement.
— S’ils peuvent retourner à Cuba en partant d’ici, ils n’auront
aucune difficulté à revenir ensuite à Uluùmil Kutz et je vous l’ai dit, ce Cuba
me semble grouiller d’hommes blancs avides de nouvelles colonies. Est-ce que
vous avez envie de les voir envahir votre pays, Seigneur Mère ?
— Non, bien sûr, fit-il, visiblement inquiet. Cependant, ils
pourraient ramener un médecin capable de soigner cette étrange maladie qui
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