Azteca
l’Orateur
Vénéré, reprit un autre vieillard. Selon une légende, Un Roseau est l’année où
Quetzalcoatl naquit sous sa forme humaine pour devenir le Uey tlatoani des
Tolteca.
— Par conséquent, poursuivit un autre, Un Roseau est aussi l’année
où il atteignit son faisceau de cinquante-deux années et, toujours d’après la
légende, c’est au cours de cette année Un Roseau que son ennemi le dieu
Tezcatlipoca parvint à l’enivrer afin qu’il commette, contre sa volonté, un
péché abominable.
— Il s’accoupla avec sa propre fille et quand il se réveilla à
côté d’elle, le lendemain matin, le remords le fit abdiquer et il partit sur un
radeau sur la mer orientale.
— Mais il a juré de revenir. Voyez-vous, Seigneur, le Serpent à
plumes est né une année Un-Roseau et il a disparu l’année Un-Roseau suivante.
Puisque nous sommes à nouveau dans une année Un Roseau, ne pourrait-on pas se
demander…»
La question se perdit dans le silence, car Motecuzoma était devenu
aussi pâle qu’un homme blanc. Le choc l’avait rendu muet. Peut-être parce que
le rappel de ces dates avait immédiatement suivi le récit du messager disant
que les hommes venus de la mer étaient en route pour sa capitale ; ou
alors, il avait pâli à cause de la similitude entre lui-même et Quetzalcoatl,
détrôné par la honte de sa propre faute. Motecuzoma avait de nombreux enfants,
de tout âge et des rumeurs avaient couru au sujet de ses relations avec deux ou
trois de ses filles. L’Orateur Vénéré avait déjà bien des préoccupations, mais
il n’était pas au bout de ses peines, car à cet instant l’intendant du palais
annonça l’arrivée d’autres messagers.
C’était une délégation de quatre Totonaca, de ce pays situé sur la côte
orientale, qui venaient avertir Motecuzoma de l’arrivée chez eux de ces onze
bateaux remplis d’hommes blancs. L’entrée de ces messagers, si tôt après celle
de l’envoyé des Cupilco, était aussi une coïncidence troublante, mais elle
n’était pas inexplicable. Une vingtaine de jours s’étaient écoulés entre le
départ des navires de la côte olmeca et leur arrivée sur le rivage totonacatl,
mais ce dernier pays était exactement à l’est de Tenochtitlán et de bonnes
routes l’y reliaient. Par contre, l’Olmecatl avait dû emprunter des chemins
beaucoup plus longs et plus difficiles. Ces arrivées simultanées n’étaient donc
pas extraordinaires, mais nous n’étions pas plus rassurés pour autant.
Les Totonaca ignoraient l’art des mots, aussi ils n’avaient envoyé
aucun rapport écrit. Les quatre messagers étaient des « conteurs »
qui récitèrent de mémoire et mot pour mot, ce que leur chef, le Seigneur
Patzinca, leur avait dit, mais ils furent incapables d’ajouter le moindre
éclaircissement, ni de donner la moindre opinion personnelle, tant ils étaient
bornés.
« Le jour Huit Alligator, Seigneur Orateur. » Le Totonacatl
commença à débiter son message. « Donc, le jour Huit Alligator, les onze
navires ont soudain apparu sur l’océan et ils sont venus s’ancrer devant la
baie de Chalchihuacuecan. »
Je connaissais cet endroit, mais je m’abstins de tout commentaire,
sachant qu’il ne faut jamais interrompre un répétiteur.
L’homme poursuivit en disant que le jour suivant, Neuf Vent, des
étrangers blancs et barbus étaient descendus sur le rivage où ils avaient
construit des petites maisons de toile et planté de grandes croix de bois dans
le sable, ainsi que de grandes bannières, pour accomplir ce qui avait semblé
être une cérémonie. Ils chantaient et gesticulaient ; ils s’agenouillaient
et se relevaient et il y avait parmi eux plusieurs prêtres. Ce ne pouvait être
que des prêtres, car ils étaient tout en noir, comme les nôtres. Tous ces
événements s’étaient déroulés le jour Neuf Vent. Le lendemain…
— Neuf Vent, remarqua pensivement un conseiller. D’après une
légende, le nom complet de Quetzalcoatl serait Neuf Vent Serpent à plumes, ce
qui voudrait dire qu’il est né un jour Neuf Vent. »
Motecuzoma tressaillit légèrement, peut-être parce que cette remarque
lui avait paru de mauvais augure. En tout cas, le conseiller aurait dû savoir
que c’était une grave erreur d’interrompre un « conteur », incapable
de reprendre son récit là où il l’avait laissé et donc obligé de tout raconter
du début.
« Le jour Huit Alligator…»
Lorsqu’il fut
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