Azteca
Treize Lapin, où j’atteignis
ma cinquante-deuxième année, des hommes blancs surgirent à nouveau à l’horizon
et Motecuzoma me fit appeler en audience privée.
« Cette fois, j’ai là un rapport qui ne m’a pas été fait par un
Maya simple d’esprit, mais par des pochteca qui se trouvaient sur la côte de
l’océan Oriental. Ils étaient à Xicalango quand six navires sont arrivés et ils
ont eu assez de sang-froid pour ne pas s’affoler et pour empêcher la population
de se paniquer. »
Je me souvenais très bien de Xicalango, cette ville si bien située
entre le bleu de l’océan et le vert du lagon, dans le pays olmeca.
« Il n’y a pas eu de combat, poursuivit Motecuzoma. Il y avait
deux cent quarante Blancs et les indigènes étaient épouvantés, mais nos
pochteca ont pris la situation en main ; ils ont réussi à rétablir le
calme et à persuader le tabascoób d’accueillir les arrivants. Aussi, les Blancs
ne se sont livrés à aucune exaction et ils sont repartis après avoir admiré la
ville et goûté à la cuisine du pays. Personne n’a pu leur parler, bien sûr,
mais nos marchands ont pu leur demander par gestes s’ils voulaient faire des
échanges. Les hommes blancs n’avaient pas grand-chose avec eux, mais en échange
de quelques pennes de poudre d’or, ils leur ont donné ceci ! »
Et, avec le geste d’un sorcier des rues qui exhibe, par magie, un
monceau de friandises devant une foule d’enfants, Motecuzoma sortit de dessous
son manteau plusieurs chapelets de perles . Ils
étaient de couleur différente, mais ils avaient tous le même nombre de perles,
grosses et petites, comme la chaîne de prières que j’avais prise à Aguilar sept
ans auparavant.
Motecuzoma eut un sourire triomphant comme s’il s’attendait à ce que je
reconnaisse : « Vous aviez raison, Seigneur, ce sont bien des
dieux. » Au lieu de cela, je lui dis :
« Ces hommes blancs ont évidemment le même culte, Seigneur. Ce qui
veut dire qu’ils viennent du même endroit. Nous nous en doutions et tout cela
ne nous apprend rien de nouveau.
— Et que dis-tu de ça ? » A ces mots, il tira de
derrière son trône ce qui me parut être un pot en argent terni.
« L’un des étrangers l’a enlevé de sa tête et l’a échangé contre
de l’or. »
J’examinai la pièce. Ce n’était pas un pot, car sa forme arrondie
l’aurait empêché de tenir debout. C’était du métal, plus gris que l’argent et
beaucoup moins brillant – c’était du fer, bien sûr. Sur le côté ouvert, étaient
fixées des lanières de cuir qui devaient sans aucun doute s’attacher sous le
menton.
« C’est un casque, dis-je et je suis sûr que l’Orateur Vénéré
l’avait deviné. Un casque très efficace. Impossible de trancher la tête d’un
guerrier qui le porterait. Ce serait une bonne chose que nos soldats soient
équipés de…
— Tu n’as pas remarqué le plus important, coupa-t-il, impatienté.
Il a exactement la même forme que ce que le dieu Quetzalcoatl porte
habituellement sur la tête.
— Comment peut-on le savoir, Seigneur ? » objectai-je,
incrédule mais respectueux.
D’un autre mouvement ample, il déploya sa dernière surprise.
« Regarde ça, vieil entêté. C’est mon Tieveu Cacama qui l’a trouvé
dans les archives de Texcoco. »
C’était le récit écrit sur une peau de daim de l’abdication et du
départ du chef des Tolteca, le Serpent à plumes. D’un doigt un peu tremblant,
Motecuzoma me désigna l’un des dessins qui figurait Quetzalcoatl faisant ses
adieux à ses sujets, debout sur son radeau.
« Il est vêtu comme nous, remarqua Motecuzoma d’une voix qui elle
aussi tremblait un peu. Mais il porte sur la tête quelque chose qui devait être
la couronne des Tolteca. Compare-la avec ce que tu tiens dans la main.
— La ressemblance est incontestable, répondis-je. Mais,
poursuivis-je prudemment, il ne faut pas oublier que les Tolteca ont disparu
bien avant que les Acolhua apprennent à écrire et que par conséquent l’artiste
n’a jamais pu voir de Tolteca et encore moins Quetzalcoatl. Je vous accorde que
cette coiffure ressemble étrangement au casque de l’homme blanc, mais je
connais l’imagination des scribes et je rappelle à l’Orateur Vénéré qu’il se
produit parfois de curieuses coïncidences.
— Yya ! » L’exclamation de Motecuzoma sonna comme
un haut-le-cœur. « Rien ne peux donc te convaincre ? Ecoute-moi.
Weitere Kostenlose Bücher