Azteca
seulement :
« Il est possible que la maladie ait rendu Cortés fou, Seigneur
Orateur, mais un fou est souvent plus à craindre qu’un homme sain d’esprit. Il
n’y a pas très longtemps que cette vermine a vaincu très facilement cinq mille
guerriers olmeca.
— Oui, mais les Olmeca ignoraient ce que nous savons. » Ce
n’était pas Motecuzoma qui avait parlé, mais son frère Cuitlahuac. « Ils
ont affronté les Blancs avec leur tactique ancestrale du corps à corps. Grâce à
vous, Seigneur Mixtli, nous connaissons maintenant la force de l’ennemi. Je vais
équiper mes troupes avec des arcs et des flèches et nous nous tiendrons hors de
portée de leurs armes de métal. Nous pourrons esquiver le tir de leurs lourdes
armes à feu et les arroser de flèches plus rapidement qu’ils ne pourront
envoyer leurs projectiles sur nous.
— Il est normal qu’un chef militaire pense à la guerre, remarqua
Motecuzoma d’un air indulgent. Mais je ne vois pas la nécessité de se battre.
Nous n’aurons qu’à donner l’ordre au Seigneur Patzinca de supprimer toute aide
aux Blancs, de ne plus leur fournir ni vivres, ni femmes et vous verrez qu’ils
seront vite fatigués de ne manger que du poisson, de ne boire que du jus de
noix de coco et d’endurer la canicule de l’été des Terres Chaudes.
— Patzinca semble ne rien vouloir refuser aux Blancs, Seigneur
Orateur, intervint le Femme-Serpent. Les Totonaca ont toujours été nos
tributaires à contrecœur. Peut-être pensent-ils gagner au change.
— En outre, ces étrangers ont parlé d’un nombre incalculable
d’autres Blancs qui vivent dans le pays d’où ils viennent, ajouta l’un des
nobles qui m’avaient accompagné. Si nous parvenons à vaincre ceux-ci, comment
être sûr que d’autres ne viendront pas ensuite, avec un armement encore plus
redoutable ? »
L’optimisme de Motecuzoma commençait à retomber. Il jetait partout des
regards inquiets, comme s’il cherchait à échapper à quelque chose, aux Blancs
ou à l’obligation de prendre une décision, je ne sais. Son regard finit par se
poser sur moi.
« Tu semblés impatient de prendre la parole, Mixtli. Quelle est
ton opinion ?
— Il faut brûler leur dernier vaisseau », répondis-je sans
hésitation.
Dans la salle du trône, s’élevèrent des « Quoi ? »
« Quelle honte ! » « Attaquer les visiteurs sans
provocation ! » « Entreprendre une guerre sans l’avoir
déclarée ! »
D’un geste impérieux, Motecuzoma fit taire tout le monde et il se
tourna vers moi : « Pourquoi ?
— Avant que nous ne partions, Seigneur Orateur, ils ont chargé
l’or fondu et tous vos présents sur leur navire. Ils vont bientôt mettre les
voiles pour Cuba ou pour l’Espagne avec sans cloute un message pour leur roi
Carlos. Les Blancs sont avides d’or ; vos cadeaux ne les ont pas
rassasiés, ils les ont seulement mis en appétit. Si on laisse partir ce bateau
avec la preuve qu’il y a de l’or chez nous, rien ne pourra plus nous sauver de
l’invasion toujours plus nombreuse de ces hommes assoiffées d’or. Ce navire est
en bois. Envoyez quelques vaillants guerriers, de nuit, avec des canoës. Ils
feront semblant de pêcher avec des torches et pourront s’approcher d’assez près
pour mettre le feu au bateau.
— Et alors ? Cortés et son armée seront totalement coupés de
leur pays et ils viendront ici avec des intentions peu amicales après un tel
acte de notre part.
— Orateur Vénéré, repris-je d’un ton las, de toute manière ils
viendront, quoi que nous fassions. Ils viendront avec les Totocana pour les
guider et porter les provisions de route. Toutefois, nous pouvons les en
empêcher. J’ai fait un relevé très précis du terrain. Les chemins qui mènent de
la côte vers les hautes terres empruntent tous des défilés étroits et
profonds ; dans des endroits pareils les chevaux, les arquebuses et les
canons des Blancs ne leur seront d’aucune utilité, pas plus que leurs armures
de métal. Il suffira de quelques guerriers postés là où il le faut, sans autres
armes que des blocs de pierre, pour les broyer tous. »
Ma suggestion souleva un nouveau concert d’exclamations indignées.
Comment, des Mexica attaquer en traître, comme des sauvages ! Mais je
poursuivis : « Il faut arrêter cette invasion par n’importe quel
moyen. A cause de sa folie, peut-être, Cortés nous a rendu la tâche plus
facile. Il a brûlé lui-même dix de
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