Azteca
façon dont ils traitent les femmes.
— Je sais faire semblant, si cela sert mes ambitions.
— Quelles sont tes ambitions ? Je pense que la fausse
traduction que j’ai entendue hier soir n’était pas ton premier essai. Pourquoi
pousses-tu Cortés à aller à Tenochtitlán ?
— Parce que je veux y aller, moi aussi. Quand je serai à
Tenochtitlán, peu m’importera ce qu’il adviendra de ces Blancs. Peut-être me
récompensera-t-on de les avoir attirés dans un endroit où Motecuzoma pourra les
coincer comme des souris. De toute façon, on me remarquera et je ne mettrai pas
longtemps à devenir noble de fait et de nom.
— Et, si par malchance les Blancs ne tombaient pas dans le piège,
tu serais récompensée encore davantage. »
Elle fit un geste d’indifférence. « Je vous demande seulement, je
vous prie, Seigneur Mixtli, de ne pas vous mettre en travers de ma route.
Donnez-moi du temps pour prouver à Cortés que je suis indispensable.
Laissez-moi aller à Tenochtitlán. Pour vous et pour votre Orateur Vénéré, ça ne
doit pas avoir une bien grande importance, mais pour moi, c’est capital.
— Je ne m’opposerai pas à tes ambitions, esclave, sauf si elles se
trouvent en contradiction avec les intérêts que je sers. »
Pendant que Motecuzoma examinait le portrait de Cortés et les autres
croquis que je lui avais apportés, je lui énumérais les personnes et les choses
que j’avais comptées.
« Ils sont cinq cent huit combattants, y compris le chef et les
officiers. Ils ont tous des épées et des lances de métal, mais treize d’entre
eux ont aussi des arquebuses et trente-deux ont des arbalètes. De plus, il y a
une centaine d’hommes qui étaient les matelots des navires brûlés. »
Motecuzoma passa par-dessus son épaule les dessins aux Anciens du
Conseil alignés derrière lui.
« Il y a quatre prêtres, poursuivis-je, et de nombreuses femmes
offertes aux Blancs par le tabascoób de Cupilco. Ils ont seize chevaux et douze
grands chiens de chasse et aussi dix gros canons et quatre autres plus petits.
Comme on nous l’avait dit, il ne leur reste plus qu’un seul bateau avec des
hommes à son bord, mais je n’ai pas eu la possibilité de les compter. »
Deux médecins, membres du Conseil, examinaient solennellement mes
dessins de Cortés et marmonnaient doctement entre eux.
« Outre les personnes dont je viens de parler, la quasi-totalité
de la population totonaca semble être aux ordres de Cortés et travaille comme
porteurs, charpentiers, maçons… quand les prêtres blancs ne leur disent pas
d’aller adorer la croix et l’image de la Vierge.
— Seigneur Orateur, dit l’un des médecins, puis-je faire une
remarque ? Mes collègues et moi avons regardé attentivement le portrait de
Cortés.
— Et je suppose qu’en tant que médecins, vous déclarez
officiellement que c’est un homme, répliqua Motecuzoma impatienté.
— Pas seulement cela, Seigneur. Nous ne saurions l’affirmer avec
certitude sans l’avoir vu personnellement, mais d’après ses traits fuyants, ses
cheveux rares et son corps disproportionné, il semblerait qu’il soit né d’une
mère affectée de la maladie nanaua. Nous avons souvent constaté les mêmes
signes dans la progéniture des maatitl de la pire espèce.
— Vraiment ? fit Motecuzoma, visiblement ravi. S’il est vrai
que la nanaua s’est attaquée à son cerveau, cela expliquerait certains de ses
actes. Il faut être fou pour brûler des navires et se priver ainsi de tout
moyen de repli. Si c’est un homme atteint de nanaua qui est le chef de ces
étrangers, que dire des autres ? Et maintenant, Mixtzin, dis-nous que leurs
armes ne sont pas aussi terribles que certains l’ont pensé. Je commence à
croire que nous avons beaucoup exagéré le danger que représentent ces
Blancs. »
Il y avait longtemps que je n’avais pas vu Motecuzoma aussi euphorique,
mais je n’étais pas tenté de partager son enthousiasme. Jusque-là, il avait
considéré les étrangers comme des dieux ou comme leurs envoyés et pensé qu’il
fallait les respecter et même leur obéir. En entendant mon rapport et l’avis
des médecins, il était prêt à déclarer, avec la même promptitude, qu’ils ne
méritaient pas qu’on s’inquiète à cause d’eux. Ces deux attitudes extrêmes me
semblaient tout aussi dangereuses l’une que l’autre. Comme je ne pouvais pas
lui dire le fond de ma pensée, je lui objectai
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