Azteca
ses vaisseaux et il n’en reste qu’un seul à
détruire. Si celui-ci ne revient jamais porter de message au roi Carlos, si pas
un seul Blanc ne sort vivant de cette aventure pour aller lui en rendre compte,
il ne saura jamais ce qu’il est advenu de cette expédition. Il pensera que ses
soldats ont disparu dans un océan secoué par une perpétuelle tempête, ou qu’ils
ont été massacrés par une nation extraordinairement puissante. Alors, nous
pourrons espérer qu’il ne se risquera plus à envoyer d’autre expédition. »
Le silence s’établit. Personne ne voulait être le premier à commenter
mon intervention. Finalement, ce fut Cuitlahuac qui déclara :
« C’est une proposition astucieuse, Seigneur mon frère.
— Elle me semble monstrueuse, grommela Motecuzoma. Détruire le
vaisseau des étrangers pour les inciter à s’aventurer dans les terres et
ensuite les attaquer par surprise. Cette décision demande qu’on y réfléchisse
et qu’on s’entretienne longuement avec les dieux.
— Seigneur Orateur, le pressai-je désespérément, ce navire va
partir d’un moment à l’autre !
— Cela voudra dire alors que c’est la volonté des dieux. N’agite
pas tes mains comme ça. »
En effet, mes mains auraient bien eu envie de l’étrangler, mais je les
contraignis à faire un geste de soumission résignée.
« Si le roi Carlos n’a plus de nouvelles de ses troupes et qu’il
en conclut qu’elles sont en danger, il n’hésitera pas à envoyer des renforts à
leur rescousse. Si l’on en juge par la désinvolture avec laquelle Cortés a
brûlé dix navires, il est certain que le roi Carlos en a bien d’autres en
réserve. Cortés n’est peut-être qu’un simple pion dans une offensive
généralisée et il serait plus sage de s’entendre à l’amiable avec lui tant que
nous ignorons ce qui se cache derrière tout ça. »
Motecuzoma se leva pour nous signifier que l’entretien était terminé.
« Je vais réfléchir à ce que vous m’avez dit, conclut-il.
En attendant, je vais envoyer des quimichi chez les Totonaca et dans
tous les pays de la côte pour me tenir informé de ce que font les
Blancs. »
Quimichi veut dire souris et aussi espion. Parmi les esclaves de
Motecuzoma il y avait des ressortissants de tous les pays du Monde Unique et il
employait les plus dignes de confiance à espionner pour lui dans leur pays
d’origine, car ils pouvaient s’infiltrer parmi leurs concitoyens dans un total
anonymat. J’avais moi-même joué les espions chez les Totonaca et dans d’autres
circonstances, mais je n’étais qu’un homme seul. Les armées de souris de
Motecuzoma étaient capables de rapporter bien davantage d’informations.
Quand le premier espion revint, Motecuzoma convoqua le conseil et
moi-même pour nous dire que la grande maison flottante des Blancs avait déployé
ses ailes et disparu vers l’est. Malgré la déception que me procurait cette
nouvelle, j’écoutai la suite du rapport de la souris car elle avait fait du
beau travail en regardant, en écoutant et même en surprenant plusieurs
conversations traduites.
Le navire avait levé l’ancre avec son équipage plus un homme détaché
par Cortés, chargé sans doute de remettre l’or, les présents et le rapport du
capitaine au roi Charles. Cet homme était Alonso, cet officier à qui on avait
donné Ce-Malinali. Cette estimable fille n’était évidemment pas partie avec lui
et elle était immédiatement devenue la concubine de Cortés en même temps que
son interprète.
Cortés s’était adressé par son entremise aux Totonaca. Il leur avait
dit que le navire reviendrait avec une nomination à un grade supérieur pour lui
et il avait anticipé cette promotion en prenant dès à présent le titre de
Capitaine général. Toujours dans le but de devancer les ordres de son roi, il
avait décidé de changer le nom de Cem-Anahuac, le Monde Unique. La région
côtière qu’il avait déjà soumise et toutes les terres qu’il découvrirait par la
suite s’appelleraient désormais la Nouvelle-Espagne. Il était clair que Cortés,
qu’il soit fou ou incroyablement audacieux ou encore, comme je le supposais,
qu’il agisse sur les injonctions de son ambitieux prince, était en train de
s’approprier des terres et des peuples qu’il n’avait encore jamais vus et que
ces terres dont il réclamait la souveraineté comprenaient aussi la nôtre.
« Si ce n’est pas une déclaration de guerre,
Weitere Kostenlose Bücher