Azteca
ne me reconnurent dans mes vêtements princiers, pas plus qu’ils
ne m’avaient identifié dans mon rôle de porteur.
Tout le monde s’assit pour dîner et je vous épargnerai mes commentaires
sur la façon de manger de ces Blancs. Nous nous étions chargés de la nourriture
qui était de la meilleure qualité et les Espagnols avaient payé leur écot en
apportant un breuvage appelé vin. J’en bus avec ménagement car il était aussi
enivrant que l’octli. Tandis que mes quatre pairs se chargeaient de soutenir la
conversation, je me mis à faire, le plus discrètement possible, le portrait de
Cortés. C’était la première fois que je le voyais de si près et je me rendis
compte que sa barbe, beaucoup moins fournie que celle de ses compagnons,
dissimulait mal une vilaine cicatrice sous sa lèvre inférieure et qu’il avait
le menton presque aussi fuyant que les Maya. Soudain, je réalisai qu’un grand
silence s’était établi autour de moi et que les yeux gris de Cortés étaient
fixés sur ma personne.
« On est en train de fixer mon image pour la postérité, à ce que
je vois. Montrez-moi ça », me dit-il. Il avait parlé en espagnol, mais sa
main tendue était tout aussi éloquente et je lui donnai le dessin.
« On ne peut pas dire que ce soit un portrait flatteur, mais il
est ressemblant. »
Il le montra à Alvarado et à d’autres Espagnols qui poussèrent de
petits rires en hochant la tête.
« Quant à l’artiste, poursuivit Cortés, les yeux toujours fixés
sur moi, regardez-le bien, mes amis. Si on lui ôtait toutes ses plumes et si on
lui poudrait un peu la figure, il pourrait passer pour un hidalgo et même pour
un Grand d’Espagne et si vous le rencontriez à la cour de Castille, vous le
salueriez d’un grand coup de chapeau. » Il me rendit le dessin et les interprètes
me traduisirent les paroles suivantes : « Pourquoi faites-vous mon
portrait ? »
Un des nobles mexica qui avait réfléchi rapidement répondit :
« Etant donné que notre Orateur Vénéré ne pourra malheureusement
pas vous recevoir, Seigneur Capitaine, il nous a demandé de lui rapporter votre
portrait en souvenir de votre court séjour dans notre pays. »
Cortés sourit mais ses yeux restèrent froids et il répliqua :
« Mais je verrai votre empereur. J’y tiens absolument. Nous avons
tous été si éblouis par les présents qu’il nous a envoyés que nous sommes
impatients de voir les merveilles que doit receler sa capitale. Je ne voudrais
pas partir sans avoir pu admirer ce qu’on m’a dit être la ville la plus
splendide de ce continent.
Un de mes compagnons prit alors un air catastrophé pour dire :
« Ayya , le Seigneur blanc entreprendrait un voyage bien
long et bien hasardeux pour aller au-devant d’une grande déception. Nous ne
vous l’avions pas dit, mais l’Orateur Vénéré a dû dépouiller sa ville pour vous
envoyer ces cadeaux. On lui a dit que les visiteurs blancs appréciaient
beaucoup l’or, aussi il leur a donné tout l’or qu’il possédait. Maintenant, la
ville est devenue sinistre et n’offre plus aucun intérêt aux visiteurs. »
Voici comment Ce-Malinali traduisit pour Aguilar, ces paroles en
xiu :
« L’Orateur Vénéré a envoyé ces babioles dans l’espoir que le
capitaine Cortés s’en satisferait et s’en irait immédiatement. En réalité,
elles ne représentent qu’une infime parcelle des trésors inestimables de
Tenochtitlán. Motecuzoma espère décourager le capitaine de venir se rendre
compte par lui-même des véritables richesses de sa capitale. »
Tandis qu’Aguilar traduisait en espagnol pour Cortés, je pris la parole
pour la première fois et m’adressai à Ce-Malinali sans hausser le ton, dans sa
langue maternelle que nous étions seuls à comprendre.
« Ta tâche consiste à répéter ce qu’on dit et non à inventer des
mensonges.
— Mais c’est lui qui ment, balbutia-t-elle, en montrant le noble
mexica et elle se mit à rougir d’avoir été prise en flagrant délit de
fourberie.
— Je connais ses raisons de mentir et j’aimerais bien que tu me
dises quelles sont les tiennes. »
Elle me regardait fixement et, soudain, ses yeux s’agrandirent de
surprise.
« Vous ! » haleta-t-elle, avec un mélange de frayeur, de
haine et de consternation.
Notre bref dialogue était passé inaperçu et Aguilar ne m’avait toujours
pas reconnu. Quand Ce Malinali traduisit à nouveau ce que Cortés venait de
dire, sa
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