Azteca
moi aussi, derrière le père Bartolomé qui m’apprit que le
supplice du bûcher était une pratique courante en Espagne, surtout pour les
ennemis de la Sainte Eglise, car elle a toujours interdit à son clergé de verser
le sang, même celui des grands pécheurs. Et c’est bien dommage, mes révérends,
car votre église pourrait employer des modes d’exécution plus humains. J’ai vu
bien des gens mourir dans ma vie, mais jamais d’une façon aussi atroce que
Cuauhpopoca et ses officiers.
Au début, ils se comportèrent courageusement. Mais lorsque les flammes
atteignirent leur ventre, qu’elles eurent brûlé leur pagne et qu’elles
commencèrent à entamer ce qui était dessous, leur visage se tordit de douleur.
Ensuite, les flammes montèrent si haut, qu’on les distinguait à peine, mais on
vit un flamboiement plus vif quand leurs cheveux s’enflammèrent et ils se
mirent à hurler.
Au bout d’un moment, leurs cris devinrent à peine audibles dans le
crépitement du feu qui leur mangeait la peau et la chair et qui leur grignotait
les muscles si bien que leur corps commença à se contorsionner. Ils rétrécirent
tant qu’ils ne ressemblaient plus à des hommes. On aurait dit des enfants de
cinq ans, tout noircis et repliés dans la position du sommeil. Pourtant, aussi
incroyable que cela paraisse, la vie était toujours présente dans ces
pitoyables objets et leurs cris continuèrent à se faire entendre jusqu’au
moment où leur tête explosa.
Il y a onze ans de cela, mais l’année dernière, quand Cortés est revenu
d’Espagne où votre roi Carlos lui a donné le titre de marqués del Valle, il
s’est dessiné lui-même son emblème de noblesse. On voit maintenant partout ce
que vous appelez ses armes : un bouclier frappé de plusieurs symboles,
entouré d’une chaîne dans les maillons de laquelle cinq têtes sont passées.
Cortés aurait pu choisir de rappeler une autre de ses victoires, mais il savait
bien que la fin du brave Cuauhpopoca marquait le début de la conquête du Monde
Unique.
Cette exécution décrétée par des étrangers blancs qui n’auraient jamais
dû jouir d’un tel pouvoir, provoqua une grande agitation dans le peuple. Mais
l’épisode suivant fut encore plus inhabituel et plus incroyable :
Motecuzoma annonça publiquement qu’il quittait provisoirement son
palais pour aller s’installer chez les Blancs.
Les citoyens de Tenochtitlán massés au Cœur du Monde Unique regardèrent
avec des visages figés leur Orateur Vénéré traverser tranquillement la place au
bras de Cortés et pénétrer dans le palais de son père Axayacatl. Les jours
suivants, il y eut un va-et-vient continuel d’un palais à l’autre, tandis que
les soldats espagnols aidaient les esclaves de Motecuzoma à déménager toute la
cour. Les femmes, les enfants, les domestiques de l’Orateur Vénéré avec leur
garde-robe, leur mobilier, tout le contenu de la salle du trône, les livres et
tous les objets nécessaires aux affaires de la cour.
Personne ne comprenait pourquoi notre Orateur Vénéré devenait l’hôte de
ses hôtes, ou plutôt le prisonnier de ses prisonniers. Mais moi, je crois en
connaître la raison.
Des années auparavant, Ahuizotl avait traité Motecuzoma de
« tambour creux » et j’avais souvent eu l’occasion d’entendre son
bruit. S’il restait un espoir de le voir un jour manier lui-même les baguettes,
il avait disparu quand Motecuzoma avait abandonné à Cortés la décision dans
l’affaire Cuauhpopoca.
Cuitlahuac, le chef des armées, nous affirma que Cuauhpopoca avait
entrepris une action qui avait failli mettre les Espagnols et leurs alliés à
notre merci et il ne se gêna pas pour dire à Motecuzoma qu’il avait lâchement
rejeté la dernière chance de sauver le Monde Unique. Cette révélation vida
l’Orateur Vénéré de toute la volonté et de tout l’honneur qui lui restaient
encore. Il devint réellement un tambour creux, si flasque qu’il ne résonnait
même plus quand on frappait dessus. Pendant que Motecuzoma s’étiolait, Cortés
s’enhardissait. Il venait de prouver qu’il avait pouvoir de vie et de mort à
l’intérieur même de la citadelle mexica. Il avait sauvé in extremis sa colonie
de Vera Cruz et son allié Patzinca, sans parler de lui-même et de tous ses
hommes, aussi il n’avait pas hésité à faire à Motecuzoma l’insulte de lui
demander de se prêter de son plein gré à son propre enlèvement.
« Je ne suis
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