Azteca
s’apprécier beaucoup. Ils parlaient de leurs pays, de leurs
religions et de leurs coutumes respectives. Motecuzoma apprit à Cortés à jouer
au patolli et j’espérais qu’il pariait gros jeu de façon à pouvoir lui
reprendre une partie du trésor qu’il avait promis aux Blancs. Cortés, à son
tour, lui fit connaître une autre distraction. Il envoya chercher des marins à
Vera Cruz pour qu’ils ramènent avec eux tous les outils nécessaires. Ils firent
abattre des arbres bien droits qu’ils transformèrent magiquement en planches,
poutres et mâts. Avec une rapidité incroyable, ils construisirent une réplique
diminuée de moitié de leurs grands vaisseaux et la lancèrent sur le lac
Texcoco. Ce fut le premier bateau à voiles qu’on vit ici et Cortés emmenait
souvent Motecuzoma en promenade sur les cinq lacs communicants.
Je ne regrettais pas du tout d’être écarté de la cour. J’étais heureux
d’avoir retrouvé ma vie tranquille et je passais à nouveau beaucoup de temps à
la Maison des Pochteca. Ma femme ne me demandait jamais rien, mais je sentais
que j’aurais dû lui tenir compagnie un peu plus souvent car elle paraissait
fatiguée. Elle avait toujours occupé ses loisirs avec des petits travaux comme
la broderie et j’avais remarqué qu’elle tenait son ouvrage de plus en plus près
de ses yeux.
« Je vieillis, Zaa, me répondait-elle simplement quand je m’en
inquiétais.
— Nous avons le même âge », lui rappelais-je invariablement.
Cette remarque avait le don de l’agacer et elle me répliquait assez
vivement :
« C’est encore une des malédictions qui pèsent sur les femmes. A
tout âge, elles sont plus vieilles que les hommes. » Puis, elle se
radoucissait et ajoutait en manière de plaisanterie : « Voilà
pourquoi les femmes traitent leurs hommes comme des enfants, parce qu’ils
semblent ne jamais vieillir… et même ne jamais grandir. »
Je fus long à réaliser qu’elle était atteinte par les premiers
symptômes du mal qui allait peu à peu la clouer au lit. Béu ne se plaignait
jamais. Quand Turquoise, notre vieille servante, mourut, j’achetai deux jeunes
femmes – une pour tenir la maison et l’autre pour s’occuper uniquement de Béu.
J’étais depuis si longtemps habitué à appeler Turquoise quand je voulais
quelque chose que je leur donnai ce même nom à toutes les deux et je ne sais
même plus comment elles se nommaient en réalité.
Le mépris des Espagnols pour les noms exacts avait peut-être fini par
déteindre sur moi. En effet, pendant tout le temps qu’ils passèrent à
Tenochtitlán, pas un seul ne fit l’effort d’apprendre notre langue. La personne
de notre race qu’ils connaissaient le mieux, c’était Malintzin et Cortés
lui-même déformait invariablement son nom en Malinche, et tout le monde dans la
ville finit par faire comme lui, soit pour imiter poliment les occupants, soit
par mépris pour cette femme, car cette prononciation faisait sauter le
« tzin » et la mettait en rage. Cependant, elle ne pouvait pas se
plaindre qu’on lui manquait de respect sans paraître du même coup critiquer la
façon de parler de son maître.
En fait, Cortés et ses hommes déformaient tous les mots. Comme le son
doux « ch » n’existe pas en espagnol, ils nous appelèrent longtemps
Mes-sica ou Mec-sica et récemment vous avez choisi de nous rendre notre ancien
nom en jugeant qu’il était plus commode de dire Aztèque. Comme les Blancs
trouvaient que le nom de Motecuzoma était difficile à prononcer, ils en firent
Montezuma et je crois qu’ils pensaient honnêtement ne pas lui faire un affront
puisque dans cette nouvelle appellation il y a votre mot pour
« montagne ». Notre dieu de la guerre, Huitzilopochtli, leur donnait
lui aussi bien du fil à retordre et, comme ils le détestaient, ils
transformèrent son nom en Huichilobos, où l’on retrouve le mot
« loup ».
***
L’hiver passa, le printemps lui succéda et avec lui arrivèrent d’autres
Blancs. Motecuzoma apprit par hasard la nouvelle avant Cortés. Lasse de
s’ennuyer au pays des Totonaca, une de ses souris était allée faire un petit
tour dans le sud et c’est là qu’elle avait aperçu, non loin du rivage, une
flotte entière de vaisseaux aux voiles déployées qui se dirigeait lentement
vers le nord en s’arrêtant dans les baies et devant les embouchures des fleuves
« comme s’ils cherchaient leurs camarades », avait déclaré
Weitere Kostenlose Bücher