Azteca
n’importe comment. Servez-vous de ce
bâton de lancement. Au début, cela ne vous semblera pas pratique, mais quand
vous en aurez pris l’habitude, vous comprendrez l’utilité de cet atlatl ;
il prolonge le bras et double sa force. A une distance de trente enjambées, on
arrive à transpercer un arbre, aussi facilement qu’un homme. Alors, les
garçons, imaginez un peu ce qui se passe quand il s’agit réellement d’un
homme. »
Il y avait aussi de longues lances terminées par une grosse et lourde
tête d’obsidienne, pour frapper, tailler et transpercer quand l’ennemi n’était
pas encore trop près. Mais pour l’inévitable combat corps à corps, on se
servait d’une épée appelée macquauitl, ce qui signifiait innocemment
« bois à chasser », mais qui était en réalité l’arme la plus terrible
et la plus meurtrière de tout notre équipement. Ce macquauitl était un bâton
plat taillé dans un bois très dur qui avait la longueur d’un bras et la largeur
d’une main et dont les deux côtés étaient incrustés d’éclats tranchants
d’obsidienne. Le manche de cette épée était assez long pour qu’on puisse
empoigner l’arme à deux mains et il était sculpté soigneusement pour que la
prise soit parfaite. Les éclats d’obsidienne n’étaient pas simplement enfoncés
dans le bois ; tant de choses dépendaient de cette épée qu’on y ajoutait de
la sorcellerie. Les petits morceaux de pierre étaient solidement pris dans de
la glu magique faite avec de l’oli liquide, cette résine de copal précieuse et
parfumée, mélangée avec du sang frais, fourni par les prêtres du dieu de la
guerre, Huitzilopochtli.
Les pointes de flèches, les lances et les tranchants d’épée en
obsidienne ont un aspect menaçant, brillant comme des cristaux de quartz et
aussi noir que l’au-delà de Mictlan. Quand la pierre est bien taillée, elle est
aussi coupante qu’un brin d’herbe et elle peut s’enfoncer aussi profondément
qu’une massue. Le seul défaut de cette pierre est sa fragilité ; elle peut
se briser contre un bouclier ennemi ou sur l’épée d’un adversaire. Mais, entre
les mains d’un combattant aguerri, un macquauitl incrusté d’obsidienne peut
trancher net un homme aussi facilement qu’une touffe d’herbes – et dans une
guerre totale, les ennemis ne sont rien d’autre que de l’herbe à faucher, comme
ne cessait de le répéter Gourmand de Sang.
De même que nos flèches, nos javelots et nos lances d’entraînement
étaient mouchetés avec de la gomme d’oli, nos macquauitl factices étaient
également inoffensifs. La lame était faite dans un bois léger et tendre, pour
que l’épée puisse se rompre avant de porter un coup trop violent. Les bords étaient
entourés de touffes de duvet à la place des éclats d’obsidienne. Avant qu’un
combat ne s’engage entre deux élèves, le Maître enduisait ces touffes de
peinture rouge, afin que chaque coup reçu se voie aussi nettement qu’une vraie
blessure dont la trace demeurait presque aussi longtemps. En l’espace d’un
temps très court, je devins tout peinturluré, des pieds à la tête, et j’étais
très ennuyé d’être vu en public. Ce fut alors que je demandai une audience
privée à notre cuachic. C’était un vieil homme rude, dur comme de l’obsidienne
et qui ne connaissait sans doute rien d’autre en dehors de la guerre, mais ce
n’était pas un imbécile.
Je m’arrêtai pour faire le geste d’embrasser la terre et toujours
agenouillé, je lui dis, « Maître Gourmand de Sang, vous savez bien que
j’ai une mauvaise vue. Je crains que vous ne perdiez votre temps et votre peine
à vouloir m’apprendre le métier de soldat. Si les marques que je porte sur le
corps étaient de vraies blessures, il y a longtemps que je serais mort.
— Et alors ? » me répondit-il froidement. Il se pencha à
ma hauteur. « Perdu dans le Brouillard, je vais te raconter l’histoire
d’un homme que j’ai rencontré jadis au Quautemâlan, le pays du Bois Touffu.
Comme tu le sais sans doute, ses habitants ont tous peur de la mort et cet
homme-là fuyait la moindre ombre de danger. Il évitait les risques les plus
naturels de l’existence. Il se retranchait dans une confortable sécurité. Il
s’entourait de médecins, de prêtres et de sorciers. Il ne mangeait que les
aliments les plus nourrissants et il absorbait avidement toutes les potions de
longue vie dont il entendait parler. Personne ne
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