Azteca
manquais pas autant de muscles que de talents
musicaux, car j’avais hérité de la taille et de la vigueur de mon père. A
quatorze ans, j’étais plus grand que des camarades qui avaient deux ans de plus
que moi. Je pense que même une personne complètement aveugle peut faire des
exercices d’élongation, de saut et de lever du poids, aussi le maître d’athlétisme
ne trouva-t-il rien à redire à mon comportement, jusqu’au moment où l’on
attaqua les sports d’équipe.
Si, dans le jeu du tlachtli, on avait eu l’autorisation de se servir de
ses mains et de ses pieds, j’aurais peut-être été un meilleur joueur, car on
bouge ses mains et ses pieds presque sans y penser, mais on a le droit de
frapper la dure balle en oli seulement avec les genoux, les hanches, les
épaules et la poitrine et quand j’arrivais à percevoir la balle, ce n’était
qu’une masse indistincte aux contours brouillés par la vitesse. Par conséquent,
bien que les joueurs fussent munis d’une protection à la tête, d’une ceinture
aux hanches, de manchons en cuir épais aux genoux et aux coudes et d’un gros
rembourrage de coton sur le reste du corps, j’étais constamment meurtri par la
balle. Pis encore, j’étais incapable, la plupart du temps, de distinguer mes
propres équipiers des joueurs adverses. Si d’aventure, j’arrivais à frapper la
balle de la hanche ou du genou, j’avais de grandes chances de l’envoyer dans la
mauvaise arche de pierre surbaissée, but à hauteur du genou qui, selon les
règles compliquées de ce jeu, change continuellement de place sur les
extrémités du terrain. Quant à mettre la balle à l’intérieur de l’un des
anneaux de pierre verticaux situés en hauteur, sur la ligne médiane des deux
murs latéraux – ce qui signifie la victoire immédiate, quel que soit le nombre
des buts déjà marqués – c’était une chose presque impossible à réaliser, même
par le joueur le plus expérimenté et même par accident ; pour l’individu
Perdu dans le Brouillard que j’étais, c’aurait été un miracle.
Le maître d’athlétisme ne fut pas long à me rayer des participants. On
me confia la garde de la jarre d’eau des joueurs et des épines et pipettes de
roseau avec lesquelles, après chaque partie, le médecin de l’école soulageait
les joueurs en vidant le sang noir des meurtrissures boursouflées.
Ensuite, il y avait les jeux guerriers et le maniement d’armes sous la
houlette d’un homme balafré d’un certain âge, un cuachic, un « vieil
aigle », titre donné à ceux qui ont prouvé leur vaillance au combat. Il
s’appelait Extli-Quani, ou « Gourmand de Sang » et il avait bien
dépassé la quarantaine. Pour ces exercices, nous n’étions pas autorisés à
porter des plumes, de la peinture ou tout autre ornement d’un vrai guerrier.
Toutefois, nous avions des boucliers d’enfants en bois ou en osier recouverts
de cuir et nous portions des tenues réglementaires de soldat. Ces vêtements
étaient fabriqués dans un coton à la trame épaisse, encore plus rêches pour
avoir été trempés dans l’eau salée et ils nous couvraient du cou jusqu’aux
chevilles et aux poignets. Ils nous laissaient une relative liberté de
mouvement et ils étaient censés nous protéger des flèches – du moins de celles
lancées à une certaine distance – mais Ayya ! ils étaient chauds,
rugueux, imprégnés de sueur, quand on les avait portés un certain temps.
« Vous allez d’abord apprendre les cris de guerre, disait
« Gourmand de Sang ». Au combat, vous serez accompagnés par les
joueurs de conque et les batteurs de tambour-tonnerre ou de tambour gémissant.
Mais à cela, devront s’ajouter vos voix appelant au massacre et le bruit de vos
poings et de vos armes résonnant sur vos boucliers. Je sais par expérience, mes
garçons, qu’une clameur envahissante peut être une arme en soi. Elle peut
ébranler un homme, délayer son sang, affaiblir ses articulations et même lui
vider vessie et boyaux. Faites du bruit et vous y trouverez deux
avantages : il renforce votre propre résolution tandis qu’il terrifie
votre ennemi. »
Ainsi, des semaines avant de brandir même une arme factice, nous
poussions le cri de l’aigle, le grognement rauque du jaguar, le long ululement
de la chouette et le alalala du perroquet. Nous apprenions à caracoler d’une
impatience feinte pour le combat, à menacer par de grands gestes, à intimider
par des grimaces,
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