Azteca
sur le
nord de la ville, puis les soldats, les chiens et les démolisseurs suivirent
pour achever la besogne. Ils négligèrent de jeter bas la Maison du Chant où
nous sommes en ce moment ainsi que quelques constructions sans intérêt
particulier de la partie sud de l’île.
Cependant, bien peu d’édifices subsistèrent. Ils surgissaient du
carnage comme des chicots dans la bouche d’un vieillard. Je dois sans doute me
féliciter de ne pas avoir été chez moi quand ma maison s’écroula. La population
de la ville avait trouvé refuge au milieu du quartier de Tlatelolco, afin d’être
le plus loin possible du tir incessant des canons et des flèches de feu
provenant des bateaux. Les combattants et les habitants les plus résistants
campaient sur la place du marché et les autres s’entassèrent dans des maisons
déjà surpeuplées. Cuauhtemoc et sa cour s’étaient installés dans l’ancien
palais de Moquihuix, dernier chef indépendant de Tlatelolco. En tant que noble,
j’eus droit à une petite chambre que je partageai avec Béu.
Avec Cuauhtemoc et bien d’autres, j’assistai à la progression de Cortés
du sommet de la pyramide de Tlatelolco, le jour où les destructeurs
s’attaquèrent au quartier d’Ixacualco où j’avais vécu. Le nuage de fumée et de
poussière m’empêcha de voir à quel moment exact ma maison fut réduite à néant,
mais quand l’ennemi quitta le quartier en fin de journée, il ne laissa derrière
lui qu’un désert comme dans presque toute la moitié sud de la ville.
J’ignore si Cortés apprit par la suite que dans les maisons de tous les
riches marchands étaient dissimulés des trésors. Il ne le savait manifestement
pas à ce moment car ses démolisseurs disloquèrent toutes les constructions
aveuglément et aucun d’eux ne vit, dans la poussière, les paquets d’or et de
pierres précieuses, les plumes et les teintures qui se trouvèrent ensevelis
dans les décombres. Ce jour-là, je contemplai leur œuvre avec une satisfaction
amère, tout en sachant qu’à la fin de la journée, je me trouverais plus pauvre
que la première fois où, enfant, j’étais venu à Tenochtitlán.
Après tout, c’était le lot de tous les Mexica encore vivants, y compris
notre Orateur Vénéré. Ensuite, tout alla très vite. Depuis des jours et des
jours, nous étions privés de tout. Pareils à ces fourmis qui anéantissent
inexorablement des forêts entières, l’armée de Cortés arriva au marché de Tlatelolco
et commença par s’attaquer à la pyramide. Il restait si peu d’espace aux
réfugiés qu’ils pouvaient à peine trouver un endroit pour s’asseoir. Pourtant,
Cuauhtemoc aurait voulu continuer à résister, même s’il lui avait fallu se
tenir sur un pied. Cependant, après nous être réunis avec le Femme-Serpent et
les conseillers, nous allâmes tous le trouver pour lui déclarer :
« Seigneur Orateur, si les étrangers vous font prisonnier, il n’y
aura plus de nation mexica. Si vous fuyez, le gouvernement sera là où vous
serez et même si Cortés nous capture tous, il n’aura pas dompté les Mexica.
— Fuir ? répondit-il tristement. Mais où et pour quoi
faire ?
— Pour aller en exil avec votre famille et quelques nobles. C’est
vrai que nous n’avons plus d’alliés sûrs autour de nous, mais vous pourrez
recruter des troupes dans des nations lointaines. Il faudra sans doute beaucoup
de temps avant que nous puissions espérer revenir en force et en triomphe, mais
au moins, les Mexica seront invaincus.
— De quel pays lointain voulez-vous parler ? »
demanda-t-il sans grand enthousiasme.
Tous les autres se tournèrent vers moi.
« Aztlán, Seigneur Orateur, dis-je. Il faut retourner au pays d’où
nous venons. »
Il me regarda comme si j’étais devenu fou, mais je lui rappelai que
nous avions renoué des liens avec nos cousins et je lui fis voir une carte pour
lui montrer le chemin. « Vous pouvez être sûr que vous serez accueilli
chaleureusement, ajoutai-je. Quand leur Orateur Tlilectic-Mixtli nous a
quittés, Motecuzoma a envoyé avec lui une troupe de guerriers et des familles
mexica spécialisées dans la construction. Peut-être y trouverez-vous une
Tenochtitlán en miniature ; peut-être les Azteca pourront-ils être, une
fois encore, les graines à partir desquelles naîtra une nouvelle et puissante
nation. »
Il nous fallut déployer beaucoup de persuasion pour que Cuauhtemoc
accepte notre idée mais, en
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