Azteca
rapportèrent certainement
à Cortés que l’état de décombres où se trouvait la ville permettait aux
habitants de mieux se défendre que si elle avait été intacte.
« Très bien, aurait alors dit le Capitaine Général. J’aurais aimé
en préserver une partie, au moins pour l’émerveillement de nos futurs colons,
mais puisqu’il en est ainsi, nous la raserons. Nous raserons chaque pierre,
chaque poutre, au point que même un scorpion ne pourra plus s’y cacher. »
C’est exactement ce qu’il fit.
Pendant que les bateaux continuaient à bombarder le nord de l’île,
Cortés fit monter ses canons sur roues et les amena sur les chaussées sud et
ouest. Derrière eux venaient des soldats à pied ou à cheval, avec des chiens,
puis d’autres armés de maillets, de haches, de leviers et de béliers. Les
canons entrèrent en action les premiers pour déblayer le plus possible devant
eux et tuer les guerriers qui se cachaient. Puis, les soldats avancèrent dans
la zone dévastée et quand les nôtres se dressèrent pour les repousser, ils
furent renversés par les cavaliers et piétines par les fantassins. Nos hommes
se battirent courageusement, mais ils étaient très faibles et complètement
abasourdis par la canonnade ; soit ils succombèrent sur place, soit ils
durent se replier dans la ville. Certains tentèrent de s’embusquer pour pouvoir
attaquer l’ennemi quand il ne serait plus sur ses gardes, mais ils furent
aussitôt découverts. Les soldats avaient amené des chiens qui les repéraient et
les signalaient quand ils ne les mettaient pas eux-mêmes en pièces.
Ensuite, quand il n’y eut plus de défenseurs, ni de danger, les autres
arrivèrent avec leurs outils de démolition. Ils déblayèrent tout ce qui
restait, ils détruisirent maisons, tours, temples et monuments et ils mirent le
feu à tout ce qui pouvait brûler. A la fin, il ne restait plus qu’un bout de
terrain plat et informe.
Ce fut le travail de la première journée. Le lendemain, les canons
purent avancer facilement dans la zone dégagée et ils tirèrent sur un autre
endroit, suivis par les soldats, les chiens et les démolisseurs. Et ainsi, jour
après jour, la cité se rétrécit comme si elle était mangée par les dieux.
Retranchés dans les parties encore intactes, nous suivions des toits la
progression de la destruction.
Je me souviens du jour où les vandales parvinrent au Cœur du Monde
Unique. Ils s’amusèrent un moment à lancer leurs flèches de feu sur les
immenses bannières de plumes qui, bien qu’elles fussent en triste état,
flottaient encore majestueusement et elles s’embrasèrent l’une après l’autre.
Il leur fallut plusieurs jours pour venir à bout de cette cité dans la
cité : les temples, le terrain de tlachtli, l’autel des crânes et les
palais. La pyramide n’était déjà plus qu’une ruine et elle ne pouvait servir de
camp retranché ou de cachette, mais Cortés décida tout de même de la démolir
sans doute parce que c’était le plus magnifique symbole de Tenochtitlán. Elle
ne se rendit pas facilement, mais, envahie par des hordes munies de lourds
outils de fer, elle finit par céder, couche après couche, révélant les
pyramides antérieures qui étaient à l’intérieur. Les hommes de Cortés
procédèrent avec moins de brutalité quand ils commencèrent à démanteler le
palais de Motecuzoma. Ils s’attendaient manifestement à y trouver le trésor de
la nation réinstallé à son ancienne place dans les chambres secrètes. Quand
Cortés se rendit compte qu’il n’y était pas, il laissa les démolisseurs
accomplir sa vengeance.
Cuauhtemoc qui connaissait l’état de faiblesse de ses guerriers avait
prévu qu’ils n’effectueraient qu’une retraite défensive en tentant de retarder
l’avance de l’ennemi et en tuant le plus possible d’envahisseurs. Mais les
combattants eux-mêmes, ulcérés de la profanation du Cœur du Monde Unique,
outrepassèrent ses ordres. La colère leur donna des forces supplémentaires et
ils prirent plusieurs fois l’offensive. Les femmes aussi étaient hors d’elles
et elles se joignirent à l’attaque en jetant sur les destructeurs des nids de
guêpes, des pierres et d’autres choses que je ne nommerai pas.
Nos guerriers abattirent bon nombre d’ennemis et ils ralentirent
peut-être le saccage, mais, ce faisant, beaucoup périrent et ils furent à
chaque fois repoussés. Pour les décourager, Cortés fit donner ses canons
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