Azteca
lever de Tonatiuh », me dit
Héron Rouge.
Le Seigneur Os Fort nous regarda froidement tous les deux. « A
partir d’aujourd’hui, tu feras mieux d’apprendre à donner au dieu soleil le nom
de Tezcatlipoca. » Et jusqu’à quand ? C’est la question que je me
posais tandis que je me hâtais vers la maison. Deviendrais-je un citoyen
d’adoption de Texcoco pour le restant de ma vie, converti aux dieux des
Alcolhua ?
Quand je racontai à ma famille anxieuse ce qui s’était passé, mon père
me dit, tout excité : « C’est Vent de la Nuit, je te l’avais bien
dit, Mixtli. C’est lui que tu as rencontré sur la route, il y a tant d’années
et c’est grâce à lui que tu vas avoir ce que ton cœur désire. »
Tzitzi avait l’air préoccupé. « Et si c’était une ruse. Si par
hasard, Texcoco avait besoin d’un xochimiqui de ton âge et de ta stature pour
un sacrifice.
— Non, dit sèchement ma mère, Mixtli n’est ni assez beau, ni assez
avenant, ni assez vertueux pour avoir été spécialement choisi pour une
quelconque cérémonie. » Elle avait l’air mécontente que toute cette
affaire se soit faite en dehors d’elle. « Il y a tout de même quelque
chose de suspect dans tout ça. Ce n’est pas en grattant du papier et en
rêvassant dans les chinampa, que Mixtli a pu se faire remarquer, même d’un
marchand d’esclaves, alors ne parlons pas d’une cour royale.
— D’après ce que j’ai entendu dire au palais et d’après ce bout
d’écriture que le Seigneur Os Fort avait sur lui, je crois pouvoir deviner
certaines choses. Cette nuit-là, à la croisée des chemins, ce n’est pas un dieu
que j’ai rencontré, mais un voyageur Acolhua, peut-être même un courtisan de
Nezahualpilli et nous en avons conclu qu’il s’agissait de Vent de la Nuit.
Pendant toutes ces années, je ne sais pourquoi, Texcoco a gardé l’œil sur moi.
Quoi qu’il en soit, je vais aller dans un calmecac de Texcoco, j’y apprendrai
l’art d’écrire et je pourrai devenir un scribe, comme je l’ai toujours
souhaité. En tout cas, ajoutai-je en haussant les épaules, voilà mon idée.
— Tu appelles ça une coïncidence, dit mon père sévèrement. Il se
peut, fils, que tu aies vraiment rencontré Vent de la Nuit et que tu l’aies
pris pour un mortel. Les dieux voyagent parfois incognito, comme les hommes. Tu
as eu de la chance et tu peux remercier Vent de la Nuit.
— Tu as raison, Père. Même si Vent de la Nuit n’est pas
directement responsable, c’est lui qui exauce les désirs et le mien est en
train de se réaliser. »
« Un seul de mes désirs », dis-je à Tzitzi lorsque nous fûmes
enfin seuls un instant. « Comment vais-je pouvoir quitter mon cher
Tintement de Clochettes ?
— Si tu avais deux sous de bon sens, tu devrais partir d’ici en
dansant et en riant », me dit-elle avec un esprit pratique bien féminin,
mais sans une ombre de gaieté dans la voix. « Tu ne peux pas passer ta vie
à arracher des mauvaises herbes, Mixtli, ni à te faire des idées avec tes
histoires de commerce. Tu as un avenir devant toi maintenant et un avenir bien
plus brillant que tous les macehualli de Xaltocán.
— Oui, mais si Vent de la Nuit ou Nezahualpilli ou qui que ce soit
m’a déjà donné une chance, j’en aurais peut-être d’autres, encore plus
intéressantes. J’ai toujours rêvé d’aller à Tenochtitlân et non à Texcoco. Je
peux encore refuser, Héron Rouge me l’a bien dit, je peux attendre. Pourquoi
pas ?
— Parce que tu n’es pas fou, Mixtli. Quand j’allais encore à la
Maison de l’Apprentissage des Manières, la Maîtresse des Filles nous disait que
si Tenochtitlân était le bras le plus puissant de la triple Alliance, Texcoco
en était le cerveau. Il y a plus de pompe et d’éclat à la cour de Nezahualpilli
qui a derrière elle un vieil héritage de poésie, de culture et de sagesse. De
tous les pays qui parlent le Nahuatl, c’est Texcoco qui possède la langue la
plus pure. Existe-t-il un meilleur séjour pour un futur savant ? Il faut
que tu y ailles. Tu étudieras, tu t’instruiras, tu surpasseras tout le monde.
Si tu gagnes les faveurs de l’Orateur Vénéré, qui sait à quel avenir il te
destinera. Quand tu parles de refuser cette invitation, tu sais très bien que
tu dis des bêtises. » Soudain sa voix faiblit. « Et tout ça, à cause
de moi.
— A cause de nous. »
Elle soupira. « Il faut bien
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