Azteca
distinguai
que l’inconnu portait un manteau de plumes brillantes et des ornements d’une
richesse qu’aucun noble de Xaltocán n’aurait pu égaler.
Héron Rouge s’adressa en ces termes au visiteur : « La
requête était la suivante : faites un homme de lui.
Eh bien, nos Maisons de l’Edification de la Force et des Manières ont
fait le maximum. Le voici.
— Je dois te mettre à l’épreuve », dit l’étranger en sortant
un petit rouleau de papier d’écorce qu’il me tendit.
« Mixpantzinco », dis-je aux deux hommes avant de le
dérouler ; il n’y avait rien de spécial, simplement une ligne de mots que
j’avais déjà vus.
« Tu arrives à lire ? demanda l’étranger.
— J’ai oublié de vous signaler que Mixtli est capable de lire
assez bien des choses simples », dit le gouverneur, comme si c’était lui
qui m’avait appris à lire.
« Oui, je peux lire, mes seigneurs, ça veut dire…
— Ça n’a pas d’importance », interrompit l’étranger,
« dis-moi seulement ce que signifie la tête à bec de canard.
— C’est Ehecatl, le vent, Seigneur.
— C’est tout ?
— Eh bien, Seigneur, accompagné de l’autre dessin, les yeux
fermés, cela veut dire Vent de la Nuit. Mais…
— Continue, n’aie pas peur, jeune homme.
— Si mon Seigneur veut bien me pardonner mon impertinence, ce
dessin n’est pas un bec de canard, c’est la trompette dans laquelle souffle le
dieu du vent.
— C’est suffisant. » L’étranger se tourna vers Héron Rouge.
« C’est bien lui, Seigneur Gouverneur. Alors, j’ai votre
autorisation ? »
« Mais bien sûr, bien sûr », répondit Héron Rouge, un peu obséquieux.
S’adressant à moi, il dit : « Voici le Seigneur Os Fort,
Femme-Serpent de Nezahualpilli, Uey tlatoani de Texcoco. Le Seigneur Os Fort
t’apporte une invitation personnelle de l’Orateur Vénéré à venir étudier et
servir à la cour de Texcoco.
— Texcoco ! » m’exclamai-je. Je n’avais jamais été dans
cette ville, ni dans le pays des Acolhua. Je n’y connaissais personne et aucun
Acolhua n’avait pu entendre parler de moi ; en tout cas, pas
Nezahualpilli, leur Orateur Vénéré, qui chez nous venait tout de suite après
Tizoc, le Uey tlatoani de Tenochtitlân, pour la puissance et la renommée. Ma
surprise était si grande que je me mis à bafouiller :
« Pourquoi ?
— Ce n’est pas un ordre, me dit brusquement le Femme-Serpent de
Texcoco. C’est une invitation, tu peux l’accepter ou la refuser. Par contre tu
n’es pas prié de poser des questions. »
Je murmurai des excuses et le Seigneur Héron Rouge vint à mon secours.
« Pardonnez-lui, Seigneur, je crois qu’il est aussi perplexe que je l’ai
été pendant toutes ces années – qu’un personnage aussi puissant que
Nezahualpilli se soit intéressé à un macehualli. »
Le femme-Serpent fit entendre un grognement et Héron Rouge
poursuivit : « Je n’ai jamais eu aucune explication au sujet de
l’intérêt que porte votre maître à ce garçon-là et je n’ai pas voulu poser de
questions. Je me souviens, bien entendu, de votre ancien chef, cet arbre à la
grande ombre, Nezahualpilli le sage et bon Coyote à jeun, qui aimait voyager
seul par tous les chemins du Monde Unique, sans se faire connaître, à la
recherche de personnes qui pourraient mériter ses faveurs. Est-ce que
Nezahualpilli, son illustre fils, fait de même ? Dans ce cas, qu’a-t-il
bien pu trouver à notre jeune sujet Tlilectic-Mixtli ? »
« Je ne saurais vous le dire, Seigneur Gouverneur. » Ce
hautain personnage répondit à Héron Rouge sur un ton presque aussi revêche qu’à
moi. « Personne ne pose de questions sur les humeurs et les intentions du
Vénéré Orateur. Pas même moi, qui suis son Femme-Serpent. Mais j’ai autre chose
à faire que d’attendre qu’un gamin irrésolu se décide à savoir s’il acceptera
ce prodigieux honneur. Demain, au lever de Tezcatlipoca, je rentre à Texcoco,
jeune homme. Viendras-tu avec moi ou non ? »
« Je viendrai, bien sûr, Seigneur, je n’ai que quelques vêtements,
quelques papiers et quelques couleurs à rassembler. Il faut peut-être que
j’emmène quelque chose de particulier ? » demandai-je courageusement,
en espérant avoir des éclaircissements sur la raison et aussi sur la durée de
ce séjour.
Il me répondit seulement : « On te donnera ce qu’il te
faudra.
— Sois à la jetée du palais, au
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