Barnabé Rudge - Tome II
sortaient sur la pointe
du pied, au lieu de ces pas bruyants et de ces démarches
fanfaronnes dont le fracas annonçait leur arrivée ou leur départ à
leurs captives tremblantes.
Ce changement venait-il de ce qu'il y avait
maintenant quelque personne d'autorité parmi eux, dont la présence
leur imposait, ou bien fallait-il l'attribuer à d'autres
causes ? elles n'en pouvaient rien savoir. Quelquefois elles
s'imaginaient qu'il fallait en imputer la raison à ce qu'il y avait
dans cette chambre un malade, parce que la nuit précédente on avait
entendu un piétinement de gens qui paraissaient apporter un
fardeau, et, après cela, un bruit semblable à un gémissement. Mais
elles n'avaient aucun moyen de s'en assurer ; les moindres
questions, les moindres prières de leur part ne leur attiraient
qu'un orage de jurements, ou d'insultes pires encore ; et
elles ne demandaient qu'une chose, c'était qu'on les laissât
tranquilles, sans avoir à subir de menaces ou de compliments ;
trop heureuses de cet isolement pour risquer de compromettre la
paix qu'elles y trouvaient par quelque communication aventureuse
avec ceux qui les tenaient en captivité.
Il était bien évident, pour Emma et même pour
la pauvre petite fille du serrurier, que c'était elle, Dolly, qui
était le grand objet de convoitise de ces brigands ; et
qu'aussitôt qu'ils auraient le loisir de s'occuper de soins plus
tendres, Hugh et M. Tappertit ne manqueraient pas d'en venir
aux coups pour elle, auquel cas il n'était pas difficile de prévoir
à qui tomberait cette jolie prise. En proie à son ancienne horreur
pour ce misérable, ravivée maintenant par le danger et devenue un
sentiment indicible d'aversion et d'épouvantable dégoût ; en
proie à mille souvenirs, à mille regrets, à mille sujets
d'angoisse, d'anxiété, de crainte, qui ne lui laissaient aucun
repos, la pauvre Dolly Varden… la suave, la florissante, la folâtre
Dolly, commençait à pencher la tête, à se faner et se flétrir comme
une belle fleur. Les roses s'éteignaient sur ses joues, son courage
l'abandonnait, son triste cœur était en défaillance. Adieu tous ses
caprices provocants, ses goûts de conquête et d'inconstance, toutes
ses petites vanités séduisantes : il n'en restait plus rien.
Elle demeurait blottie tout le long du jour contre le sein d'Emma
Haredale ; tantôt appelant son cher père, son vieux père en
cheveux gris, tantôt sa mère ; tantôt soupirant même après son
logis, si précieux à sa mémoire ; elle dépérissait lentement,
comme un pauvre oiseau dans sa cage.
Cœurs légers, cœurs légers, qui vous laissez
doucement entraîner au courant paisible de la vie, étincelant et
flottant gaiement sur ses eaux aux rayons du soleil… duvet de la
pêche, fleur des fleurs, vapeur purpurine du jour d'été, âme de
l'insecte ailé qui ne vit qu'un jour… ah ! qu'il faut peu de
temps pour vous plonger au fond du torrent, quand il est troublé
par l'orage ! Le cœur de la pauvre Dolly, cette petite chose
si gentille, si insouciante, si mobile, toujours dans le vertige
d’une agitation sans fin et sans repos, qui ne connaissait de
constance que dans ses regards pénétrants, son sourire gracieux et
les éclats de sa joie… le cœur de Dolly allait se briser.
Emma, qui avait connu la douleur, était plus
capable de la supporter. Elle n'avait pas grandes consolations à
donner ; mais elle pouvait toujours calmer et soigner sa
compagne. Elle n'y manquait pas, et Dolly ne la quittait pas plus
que l'enfant ne quitte sa nourrice. En essayant de lui rendre
quelque courage, elle augmentait le sien, et, quoique les nuits
fussent bien longues, les jours bien pénibles, et qu'elle ressentit
la funeste influence de la veille et de la fatigue, quoiqu'elle eût
peut-être une idée plus claire et plus distincte de leur isolement
et des périls effrayants qui en étaient la suite, elle ne laissait
pas échapper une plainte. Devant les bandits qui les tenaient en
leur pouvoir, elle avait à la fois dans sa tenue tant de calme et
de dignité ; au milieu même de ses terreurs, elle montrait si
bien sa conviction secrète qu'ils n'oseraient pas la toucher, qu'il
n'y en avait pas un parmi eux qui ne la regardât avec un certain
sentiment de crainte : il y en avait même qui la soupçonnaient
de porter sur elle quelque arme cachée, toute prête à en faire
usage.
Telle était leur condition lorsque
Mlle Miggs vint les rejoindre, leur donnant à entendre
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