Barnabé Rudge - Tome II
et tant d'obstacles, si ce n'est pas pour
vous sauver ? »
Avec une joie impossible à décrire, elles
tombèrent dans les bras l'une de l'autre, en remerciant le ciel de
ce secours inespéré. Leur libérateur s'avança de quelques pas pour
mettre le flambeau sur la table ; et retournant sur-le-champ
prendre sa première position, il ôta son chapeau et les regarda
d'un air souriant.
« Vous avez des nouvelles de mon oncle,
monsieur ? dit Emma, se tournant vivement de ce côté.
– Et de mes père et mère ? ajouta
Dolly.
– Oui, dit-il, de bonnes nouvelles.
– Ils sont vivants et sains et
saufs ? crièrent-elles à la fois.
– Vivante et sains et saufs,
répéta-t-il.
– Et tout près de nous ?
– Je ne puis pas dire cela, répondit-il
d'un air doucereux ; ils sont, au contraire, bien loin. Les
vôtres, ma mignonne, ajouta-t-il en s'adressant à Dolly, ne sont
qu'à quelques heures d'ici : vous pourrez leur être rendue,
j'espère, cette nuit.
– Mon oncle, monsieur ?… balbutia
Emma.
– Votre oncle, chère demoiselle Haredale,
heureusement… je dis heureusement, parce qu'il s'est tiré mieux
qu'un grand nombre de nos coreligionnaires de ce conflit… est en
lieu de sûreté… Il a traversé la mer et s'est réfugié sur le
continent.
– Dieu soit béni ! dit Emma presque
défaillante.
– Vous avez bien raison ; il y a de
quoi le bénir plus que vous ne pouvez l'imaginer peut-être, n'ayant
pas eu la douleur de voir une seule de ces nuits de cruels
outrages.
– Désire-t-il, dit Emma, que j'aille le
rejoindre ?
– Comment pouvez-vous le demander ?
cria l'étranger d'un air de surprise. S'il le désire ! Mais
vous ne savez donc pas le danger qu'il y aurait pour vous à rester
en Angleterre, la difficulté d'échapper, tous les sacrifices que
feraient volontiers des milliers de personnes pour en acheter les
moyens ! sans cela vous ne me feriez pas pareille question.
Mais pardon ! j'oubliais que vous ne pouviez pas vous douter
de tout cela, étant restée ici prisonnière.
– Je m'aperçois, monsieur, dit Emma après
un moment de silence, par tout ce que vous venez de me faire
entendre sans oser me le dire, que je n'ai vu que la première et la
moins violente des scènes de désordre dont nous pouvions être
menacés, et que leur furie ne s'est pas encore ralentie. »
Il haussa les épaules, secoua la tête, leva
les mains au ciel, et toujours avec le même sourire doucereux, qui
n'était pas agréable à voir, abaissa ses yeux à terre et resta
silencieux.
« Vous pouvez hardiment, monsieur, reprit
Emma, me dire toute la vérité : les maux par lesquels nous
venons de passer nous ont préparées à tout entendre. »
Mais ici Dolly s'entremit, pour la prier de ne
pas insister pour savoir tout, le mal comme le bien, et supplia le
gentleman de ne dire que le bien, et de garder le reste pour le
moment où elles seraient réunies avec leurs parents et leurs
amis.
« Cela peut se dire en deux mots,
répondit-il en lançant à la fille du serrurier un regard de dépit.
Le peuple s'est levé comme un homme contre nous. Les rues sont
remplies de soldats qui soutiennent l'insurrection et font cause
commune avec elle. Nous n'avons aucun secours à attendre d'eux, et
point d'autre salut que la fuite. Encore est-ce une pauvre
ressource, car on nous épie de tous côtés, et on veut nous retenir
ici par la force ou par la fraude. Miss Haredale, il m'est pénible,
croyez-le bien, de vous parler de moi, ou de ce que j'ai fait ou de
ce que je suis disposé à faire ; j'aurais trop l'air de vous
vanter mes services. Mais comme j'ai des connaissances puissantes
parmi les protestants, et que toute ma fortune est embarquée dans
leur navigation et leur commerce, j'ai eu le bonheur de trouver là
le moyen de sauver votre oncle. Je puis vous sauver de même, et
c'est pour acquitter la promesse sacrée que je lui ai faite de ne
pas vous quitter avant de vous avoir remise dans ses bras, que vous
me voyez ici. La trahison ou le repentir d'un des hommes qui vous
entourent m'a fait découvrir votre retraite, et vous voyez comment
je m'y suis frayé un chemin l'épée à la main.
– Vous m'apportez sans doute, dit Emma
défaillante, quelque lettre ou quelque gage de la part de mon
oncle ?
– Non, il n'en a pas, cria Dolly en lui
montrant l'étranger avec vivacité. Je suis sûre à présent qu'il
n'en a pas. Pour tout au monde n'allez pas avec lui.
– Taisez-vous,
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