Barnabé Rudge - Tome II
bons messieurs. »
On aurait cru, à entendre la voix perçante de
Mlle Miggs, répétant obstinément cet alléluia d'un nouveau
genre, qu'elle le criait jusque par le trou de la serrure ;
mais il faisait trop noir pour qu'on pût la voir.
« S'il doit venir un temps, et Dieu sait
que cela peut être d'un moment à l'autre, où ils voudront mettre à
exécution les projets, quels qu'ils soient, pour lesquels ils nous
ont amenées ici, pouvez-vous encore les encourager comme vous
faites, et avoir l'air de prendre leur parti ? demanda
Emma.
– Si je le puis ? certainement oui,
grâces en soient rendues à mes bonnes étoiles du bon Dieu,
certainement je le puis et je le fais, reprit Miggs avec un
redoublement d'énergie… Dieu soit
lié !
Dieu soit
lié
! mes bons messieurs. »
Dolly elle-même, tout abattue, tout anéantie
qu'elle était, se ranima à ce cri, et ordonna à Miggs de se taire
sur-le-champ.
« À qui faites vous l'honneur d'adresser
cette observation, miss Varden ? » dit Miggs, en appuyant
avec une attention marquée sur le pronom interrogatif.
Dolly lui répéta son ordre.
« Oh ! bonté divine, cria Miggs en
se tenant les côtes à force de rire, bonté divine ! Bien sûr
que je vais me taire, ô mon Dieu oui ! Ne suis-je pas une vile
esclave qui n'est bonne qu'à travailler, peiner, se fatiguer, se
faire gronder, vilipender, qui n'a seulement pas le temps de se
débarbouiller, en un mot le vaisseau du potier, n'est-ce pas,
mademoiselle ? Ô mon Dieu, oui ! ma position est humble,
mes capacités bornées, et mon devoir est de m'humilier devant les
filles dégénérées, dénaturées, de bonnes et dignes mères, de vraies
saintes qui souffrent le martyre à voir toutes les persécutions
qu'elles ont à souffrir de leur famille corrompue : mon devoir
est peut-être aussi de courber l'échine devant elles, ni plus ni
moins que les infidèles devant leurs idoles… n'est-ce pas,
mademoiselle ? Ô mon Dieu, oui ! je ne suis bonne qu'à
aider de jeunes coquettes païennes à se brosser, à se peigner, à se
transformer en sépulcres blanchis, pour faire croire aux jeunes
gens qu'il n'y a pas seulement là-dessous un morceau de ouate pour
remplir les vides, ni cosmétiques, ni pommades, ni aucune invention
de Satan et des vanités terrestres. N'est-ce pas,
mademoiselle ? Oh certainement ! mon Dieu
oui ! »
Après avoir débité cette tirade ironique avec
une volubilité étonnante, et surtout avec une voix perçante qui
étourdissait les oreilles, surtout quand elle lançait comme autant
de fusées chaque interjection, Mlle Miggs, par pure habitude,
et non pas parce que les larmes pouvaient être justifiées par la
circonstance, puisqu'il s'agissait pour elle d'un vrai triomphe,
termina en répandant un ruisseau de pleurs et en appelant, du ton
le plus pathétique, le nom, le doux nom de Simmuns.
Qu'est-ce que Emma Haredale et Dolly allaient
faire, et où se serait arrêtée Mlle Miggs, une fois qu'elle
avait arboré franchement son drapeau et qu'elle se disposait à le
balancer victorieusement sous leurs yeux étonnés, c'est ce qu’il
est impossible de savoir ; mais, d'ailleurs, il serait inutile
d'approfondir cette question, car il y eut sur le moment même un
incident saisissant qui vint interrompre le cours de l'éloquence de
Miggs et enlever d'assaut leur attention tout entière.
C'était un violent coup de marteau frappé à la
porte de la maison, qu'on entendit immédiatement s'ouvrir
brusquement ; puis tout de suite une bagarre dans l'autre
chambre et un bruit d'armes. Transportée par l'espérance que
l'heure de la délivrance était enfin arrivée, Emma et Dolly
appelèrent à grands cris au secours, et leurs cris reçurent bientôt
une réponse. Au bout d'un moment à peine d'intervalle, un homme,
portant d'une main une épée nue et de l'autre au flambeau, se
précipita dans la chambre qui leur servait de prison.
Leurs premiers transports furent réprimés par
la vue d'un étranger, car elles ne connaissaient pas l'homme qui se
présentait alors à leurs yeux ; cependant elles s'adressèrent
à lui pour le supplier, dans les termes les plus pathétiques, de
les rendre à leurs familles.
« Et croyez-vous que je sois ici pour
autre chose ? répondit-il en fermant la porte, contre laquelle
il appuya son dos, comme pour en défendre le passage. Pourquoi donc
vous imaginez-vous que je me sois frayé un passage jusqu'à vous à
travers tant de dangers
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