Barnabé Rudge - Tome II
côtés, et que le
moindre bruit qu'on y entendrait serait suivi à l'instant des plus
funestes conséquences. Demain, nous vous ferons connaître, à l'une
et à l'autre, nos intentions. En attendant, tâchez de ne pas vous
montrer à la fenêtre, et de ne pas appeler à votre aide les
passants : car, au premier mot, le public verra que vous venez
d'une maison catholique, et tous les efforts de nos gens pour
défendre votre vie seraient impuissants à vous sauver. »
Après cet avertissement, qui ne manquait pas
de vraisemblance, il s'en retourna vers la porte, suivi de Hugh et
de Dennis. Ils s'arrêtèrent un moment, avant de sortir, à les
contempler enlacées dans les bras l'une de l'autre ; puis ils
quittèrent la cabane, verrouillèrent la porte en dehors et y mirent
bonne garde, ainsi qu'autour de la maison.
« Savez-vous, grommela Dennis en s'en
allant avec ses compagnons, que nous avons là deux jolis brins de
filles ? Celle de maître Gashford vaut bien l'autre, qu'en
dites-vous ?
– Chut ! dit Hugh avec
précipitation ; n'appelez pas les gens par leurs noms :
c'est une mauvaise habitude.
– Eh bien ! je ne voudrais pas être
à sa place, au monsieur dont vous ne voulez pas qu'on dise le nom,
quand il viendra lui faire sa déclaration : voilà tout, dit
Dennis. C'est une de ces brunes à l'œil noir, orgueilleuses et
fières, auxquelles je ne me fierais pas, si je leur voyais un
couteau sous la main. J'en ai déjà vu plus d'une. Mais il y en a
une surtout que je me rappelle qui a été exécutée, il y a bien des
années (il y avait aussi un gentleman dans l'affaire) : elle
me dit d’une lèvre tremblante, mais d'un cœur aussi ferme que celui
de Judith devant Holopherne : « Dennis, je suis près de
ma fin, mais je voudrais avoir au bout de mes doigts une lame et le
voir, lui, devant moi, pour le frapper roide mort. » Ah !
mais, c'est qu'elle l'aurait fait comme elle le disait.
– Qui donc, roide mort ? demanda
Hugh.
– Comment voulez-vous que je vous le
dise, camarade ? répondit Dennis. Elle ne l'a pas nommé, ma
foi ! »
Hugh parut un moment tenté de demander encore
quelques renseignements sur ce souvenir incohérent ; mais
Simon Tappertit, qui, pendant ce temps-là, était plongé dans ses
méditations profondes, donna à ses pensées une nouvelle
direction.
« Hugh, lui dit-il, vous avez bien
travaillé aujourd'hui. Vous serez récompensé. Et vous aussi,
Dennis… vous n'avez pas quelque jeune beauté à faire enlever pour
votre compte ?
– N-o-n, répondit le gentleman passant sa
main sur sa barbe grise, longue au moins de deux pouces, je ne vois
pas que j'en aie une qui me tienne au cœur.
– Très bien ! dit Simon ; alors
nous trouverons quelque autre moyen de vous indemniser. Quant à
vous, mon brave garçon (en se tournant vers Hugh), vous aurez
Miggs, vous savez, celle que je vous ai promise, et cela avant
qu'il soit trois jours. Comptez là-dessus : je vous en donne
ma parole ; c'est comme si vous la teniez. »
Hugh le remercia de tout son cœur, et de tout
son cœur aussi se mit à rire, si bien et si fort qu'il s'en tenait
les côtes, et qu'il était obligé de s'appuyer sur l'épaule de son
petit capitaine, pour ne pas se rouler par terre, car il n'aurait
pas pu s'en empêcher sans cela.
Chapitre 18
Les trois honorables compagnons se dirigèrent
du côté de
la Botte
avec l'intention de passer la nuit
dans ce lieu de rendez-vous, et de chercher, à l'abri de leur
antique repaire, le repos dont ils avaient tant besoin : car,
maintenant que l'œuvre de destruction qu'ils avaient méditée se
trouvait accomplie, et qu'ils avaient mis, pour la nuit, leurs
prisonnières en lieu de sûreté, ils commençaient à se sentir
épuisés, et à éprouver les effets énervants du transport de folie,
qui les avait entraînés à de si déplorables résultats.
Malgré la fatigue et la lassitude à laquelle
il succombait alors, comme ses deux camarades, et, on peut dire,
comme tous ceux qui avaient pris une part active à l'incendie de la
Garenne, Hugh retrouvait encore toute sa verve de tapageuse gaieté,
chaque fois qu'il regardait Simon, et, à la grande colère du petit
capitaine, il la manifestait par de tels éclats de rire qu'il
s'exposait à attirer sur eux l'attention de la police, et à se
mettre sur les bras quelque affaire dans laquelle leur état de
faiblesse et d'épuisement ne leur aurait pas fait jouer un rôle
brillant.
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