Barnabé Rudge - Tome II
tour à se voir tous emmenés à la geôle ; les
autres, que c'était bien fait, que, s'ils avaient délivré d'abord
les autres prisonniers, cela ne serait pas arrivé. Un homme se mit
à crier de toutes ses forces : « Qui est-ce qui veut me
suivre à Newgate ? » Tout le monde lui répondit par une
acclamation bruyante, en se précipitant vers la porte.
Mais Hugh et Dennis s'adossèrent contre elle
pour les empêcher de sortir, attendant que la clameur confuse de
leurs voix se fût apaisée et permît de faire entendre des
observations raisonnables. Ils leur représentèrent que de vouloir
s'en aller faire ce beau coup en plein jour à présent, ce serait un
trait de folie ; tandis que, s'ils attendaient la nuit, et
qu'ils combinassent auparavant un plan d'attaque, non seulement ils
pourraient reprendre tous leurs camarades, mais encore délivrer les
prisonniers, et mettre le feu à la prison pardessus le marché.
« Et encore pas à la prison de Newgate
seule, leur cria Hugh, mais à toutes les prisons de Londres, pour
qu'ils n'aient plus d'endroits où mettre les prisonniers qu'ils
pourraient nous faire. Nous les brûlerons toutes, nous en ferons
des feux de joie. Tenez, dit-il en saisissant la main du bourreau,
s'il y a des hommes ici, qu'ils viennent croiser leurs mains avec
les nôtres, en gage d'alliance. Barnabé en liberté, et à bas les
prisons ! Qui est-ce qui le jure avec nous ? »
Tous, jusqu'au dernier, vinrent tendre leurs
mains. Tous jurèrent avec des serments effroyables d'arracher, la
nuit suivante, leurs amis, à Newgate, d'enfoncer les portes, de
mettre le feu à la geôle, ou de périr eux-mêmes dans les
flammes.
Chapitre 19
Cette nuit-là même, car il y a des temps de
bouleversement et de désordre où vingt-quatre heures suffisent pour
embrasser plus d'événements émouvants qu'une vie tout entière,
cette nuit-là même M. Haredale, ayant garrotté son prisonnier,
avec l'aide du petit sacristain, le força à monter sur son cheval
jusqu'à Chigwell, afin de s'y procurer un moyen de transport pour
l'emmener à Londres devant un juge de paix. Il ne doutait pas qu'en
considération des troubles dont la ville était le théâtre, il
n'obtint aisément de le faire mettre en prison provisoirement
jusqu'au point du jour, car il n'y aurait pas eu de sécurité à le
déposer au corps de garde ou au violon. Et, quant à conduire un
prisonnier par les rues, lorsque l'émeute en était maîtresse, ce ne
serait pas seulement une témérité puérile, ce serait un défi
imprudent jeté à la populace. Laissant au sacristain le soin de
conduire son cheval par la bride, il ne quittait pas l'assassin, et
c'est dans cet ordre qu'ils traversèrent le village au beau milieu
de la nuit.
Tout le monde y était encore sur pied, car
chacun avait peur de se voir incendier dans son lit, et cherchait à
se réconforter par la compagnie de quelques autres, en veillant en
commun. Quelques-uns des plus braves s'étaient armés et réunis
ensemble sur la pelouse. C'est à eux que M. Haredale, qui leur
était bien connu, s'adressa d'abord, leur exposant en deux mots ce
qui était arrivé, et les priant de l'aider à transporter à Londres
le criminel avant le point du jour.
Mais il n'y avait pas de danger qu'il s'en
trouvât un qui eût le courage de l'aider seulement du bout du
doigt. Les émeutiers, en passant par le village, avaient menacé de
leurs vengeances les plus atroces quiconque lui porterait secours
pour éteindre le feu et lui rendrait le moindre service, aussi bien
qu'à tout autre catholique. Ils étaient allés jusqu'à les menacer
dans leur vie et leurs propriétés. S'ils s'étaient rassemblés,
c'était pour veiller à leur propre conservation, mais ils n'avaient
pas envie de se risquer à lui prêter main-forte. C'est ce qu'ils
lui déclarèrent, avec quelque hésitation accompagnée de
l'expression de leurs regrets, en se tenant à l'écart au clair de
la lune, et en jetant de côté un regard craintif sur le lugubre
cavalier, qui se tenait là, la tête penchée sur sa poitrine et son
chapeau rabattu sur ses yeux, sans remuer et sans dire un mot.
Voyant qu'il était impossible de leur faire
entendre raison, et désespérant de les convaincre après les
exemples qu'ils avaient vus des furieuses vengeances de la
multitude, M. Haredale les pria au moins de le laisser agir
lui-même librement et prendre la seule chaise de poste et la seule
paire de chevaux qui se trouvassent
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