Barnabé Rudge - Tome II
elles-mêmes étaient
opposées aux papistes, et n'auraient pas le cœur de tourmenter des
gens qui n'avaient pas d'autre tort que de penser comme elles. Bien
entendu que c'était surtout aux oreilles des soldats qu'on faisait
résonner ces espérances, et les soldats, qui, de leur côté,
naturellement, n'ont pas de goût pour se battre contre le peuple,
recevaient ces avances avec assez de bienveillance, répondant à
ceux qui leur demandaient s'ils iraient volontiers tirer sur leurs
compatriotes : « Non ! de par tous les
diables ! » montrant enfin des dispositions pleines de
bonté et d'indulgence. On fut donc bientôt persuadé que les
militaires n'étaient pas des
soldats du pape
, et
n'attendaient que le moment de désobéir aux ordres de leurs chefs
pour se joindre à l'émeute. Le bruit de leur répugnance pour la
cause qu'ils avaient à défendre, et de leur inclination pour celle
du peuple, se répandit de bouche en bouche avec une étonnante
rapidité, et, toutes les fois qu'il y avait quelque militaire
écarté à flâner dans les rues ou sur les places, il se formait
aussitôt un rassemblement autour de lui : on lui faisait fête,
on lui donnait des poignées de main, on lui prodiguait toutes les
marques possibles de confiance et d'affection.
Cependant la foule était partout. Plus de
déguisement, plus de dissimulation ; l'émeute allait tête
levée dans toute la ville. Un des insurgés voulait-il de l'argent,
il n'avait qu'à frapper à la porte de la première maison venue, ou
à entrer dans une boutique, pour en demander au nom de
l'Émeute : il était sûr de voir sa demande sur-le-champ
satisfaite. Les citoyens paisibles ayant peur de leur mettre la
main sur le collet quand ils marchaient seuls et isolés, il n'y
avait pas de danger qu'on allât leur chercher querelle quand ils
étaient en corps nombreux. Ils se rassemblaient dans les rues, les
traversaient selon leur bon plaisir, et concertaient publiquement
leurs plans. Le commerce était arrêté, presque toutes les boutiques
fermées. Presque sur toutes les maisons était déployé un drapeau
bleu, en gage d'adhésion à la cause populaire. Il n'y avait pas
jusqu'aux juifs de Houndsditch, dans le quartier de Whitechapel,
qui écrivaient sur leurs portes et leurs volets : « C'est
ici la maison d'un vrai et fidèle protestant. » La foule
faisait loi, et jamais loi ne fut acceptée avec plus de crainte et
d'obéissance.
Il était à peu près six heures du soir quand
un vaste attroupement se précipita dans Lincoln's-Inn-Fields par
toutes les avenues, et là se divisa, évidemment d'après un plan
préconçu, en diverses branches. Ce n'est pas que l'arrangement
prémédité fut connu de toute la foule : c'était le secret de
quelques meneurs qui, venant se mêler aux autres, à mesure qu'ils
arrivaient sur les lieux, et les distribuant dans tel ou tel
détachement, exécutaient le mouvement avec autant du rapidité que
si c'eût été une manœuvre faite au commandement, et que chacun eût
eu son poste assigné d'avance.
Tout le monde savait, du reste, que la bande
la plus considérable, comprenant à peu près les deux tiers de la
masse, était désignée pour l'attaque du Newgate. Elle se formait de
tous les perturbateurs qui s'étaient distingués dans les premiers
troubles ; de tous ceux que la rumeur publique signalait comme
des gens de résolution et d'audace, des hommes d'action ; de
tous ceux qui avaient eu des camarades arrêtés dans les affaires
des jours précédents, enfin d'un grand nombre de parents ou d'amis
de criminels détenus dans la prison. Cette dernière classe de héros
ne renfermait pas seulement les bandits les plus désespérés et les
plus redoutables de Londres ; on y voyait aussi quelques
personnes comparativement honnêtes. Plus d'une femme s'était
habillée en homme pour aller aider à la délivrance d'un fils ou
d'un frère. Il y avait les deux fils d'un condamné à mort, dont la
sentence devait être exécutée le surlendemain, en compagnie de
trois autres criminels. Combien de mauvais sujets dont les
camarades avaient été emprisonnés pour filouterie ! Et aussi
que de misérables femmes, parias du genre humain, qui allaient là
pour faire relâcher quelque autre créature de bas étage comme
elles, ou peut-être entraînées, Dieu seul pourrait le dire, par un
sentiment général de sympathie qui les intéressait à tous les
malheureux sans espoir !
De vieux sabres, et de vieux
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